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13 mai 2009 3 13 /05 /mai /2009 14:55

 

Les leçons de l'histoire : les élections 2000 et le nouveau « conflit irrépressible »

 

Par David North


Le 11 décembre 2000

 

Cette conférence a été prononcée par David North, rédacteur en chef du World Socialist Web Site et secrétaire national du Parti de l'égalité socialiste américain, le SEP (Socialist Equality Party), lors d'une réunion publique du SEP australien tenue le 3 décembre dernier à Sydney.

Mercredi le 13 décembre, le WSWS a mis en ligne un article en anglais sur la discussion qui a suivi lors de la période de questions subséquente à la conférence de North.

Comme vous le savez, à l'origine le but de cette réunion publique était de commémorer l'anniversaire de l'assassinat de Trotsky. La décision de changer de sujet n'a pas été prise à la légère. J'ai l'intention d'utiliser cette occasion pour non seulement insister sur l'importance persistante de l'héritage politique et théorique de Trotsky, mais également de soutenir que l'histoire jugera en bout de ligne Trotsky comme le plus grand leader et penseur révolutionnaire du XXe siècle.

Ce changement du sujet de la conférence ne signifie pas que le Comité International de la Quatrième Internationale mette moins l'accent sur l'axe central des fondements historiques de notre mouvement, par dessus tout sur l'importance essentielle de mener une lutte continue et sans relâche pour clarifier les grandes leçons stratégiques du siècle qui s'achève.

Ce que j'avais prévu de dire à propos de la vie de Trotsky et de son héritage peut attendre. Les événements actuels aux États-Unis revêtent une importance politique internationale telle que ce serait une grave erreur à notre avis de ne pas saisir l'opportunité de cette rencontre pour discuter de la crise qui fait rage dans ce pays depuis le 7 novembre 2000. Je pense que Trotsky lui même aurait approuvé cette décision. L'une des caractéristiques essentielles de son uvre était justement d'identifier et de concentrer l'attention des marxistes et des sections avancées de la classe ouvrière sur les événements dans lesquels les contradictions du capitalisme mondial trouvent leur expression la plus avancée.

En novembre 1931, Trotsky définissait les événements en Allemagne ­ pays où la lutte entre la classe ouvrière et les forces montantes du fascisme arrivait alors à leur paroxysme ­ comme « la clé de la situation internationale ». Il écrivait alors : « l'orientation que prendra la solution de la crise en Allemagne décidera non seulement du sort de l'Allemagne et de l'Europe, mais aussi du monde entier pour de nombreuses années à venir ».

Sans aller jusqu'à suggérer que les conditions qui existaient en Allemagne en 1931 et celles qui prévalent actuellement aux États-Unis sont les mêmes, il est néanmoins nécessaire d'insuffler dans la conscience politique de la classe ouvrière internationale l'importante signification de la crise aux États-Unis. Après tout, il n'y a pas d'autres pays au monde où les illusions dans la stabilité et la puissance du capitalisme sont plus répandues.

Les illusions qui existent aux États-Unis quant à la pérennité du système se reflètent dans le monde entier. Aucun autre pays n'est vu comme un meilleur exemple de la puissance du marché et du Capital. Pour des millions de personnes, les États-Unis apparaissent encore comme le pays de la démocratie et des possibilités illimitées. Et même dans les rangs de ceux qui se considèrent critiques à l'égard de l'impérialisme américain, combien d'entre eux pouvaient réellement penser qu'une crise remettant sérieusement en question la stabilité de tout le système pouvait éclater dans le bastion même du capitalisme mondial ?

Sans vouloir insulter qui que ce soit, si j'avais seulement suggéré il y a quelques mois à peine que les États-Unis seraient plongés dans une crise politique si intense et fondamentale qu'elle remettrait en question toute la structure gouvernementale du pays, combien d'entre vous, même parmi les plus généreux dans leur appréciation du travail du CIQI, auraient été prêts à partager ce point de vue ? Et pourtant nous voilà un mois après des élections qu'on ne peut comparer à aucune autre qui a eu lieu aux États-Unis au XXe siècle, et il n'apparaît plus impensable que le système politique des États-Unis puisse se transformer soudainement en profondeur.

Le début d'une crise révolutionnaire dans le bastion même du capitalisme mondial ­ et c'est là le sens essentiel des développements actuels ­ introduit dans la situation mondiale un facteur d'une importance extraordinaire et aux conséquences imprévisibles. Du jour au lendemain, les stratèges politiques et les économistes des classes dirigeantes de tous les pays, l'Australie y compris, sont soudainement confrontés à une situation que tous auraient considéré inimaginables il y a seulement quatre semaines : la déstabilisation politique et l'effondrement possible des structures des États-Unis ­ reconnus dans le monde entier comme « la dernière grande superpuissance de la planète ».

Peut-être que l'une des caractéristiques les plus distinctes d'une véritable crise, c'est qu'elle débute de façon habituellement inattendue et prend rarement une forme prévue. Mais cela ne veut pas dire qu'une crise n'était pas prévue. Il y a en effet un organe d'analyse politique qui n'a cessé d'insister sur le fait que la structure politique des États-Unis approchait un état de dysfonctionnement profond ­ cet organe, c'est le World Socialist Web Site.

Dès décembre 1998, alors que la campagne pour la destitution de Clinton approchait de son paroxysme, le WSWS annonça que la lutte sauvage opposant le Congrès à la Maison Blanche contenait les germes d'une guerre civile. Mais à cette époque, le WSWS n'était qu'une voix dans le désert et recevait même des lettres de plaintes de ses propres partisans qui protestaient contre notre tendance à l'hyperbole ou à l'exagération.

 

La crise électorale

 

Le 7 novembre 2000, environ 100 millions d'Américains - soit à peu près la moitié de l'électorat ­ se sont rendus aux urnes pour finaliser ce qui, même selon les normes américaines, fut perçu comme une campagne électorale plus ou moins morne. Tous anticipaient dans les dernières semaines que le résultat final serait presque à égalité, mais personne ne s'attendait à ce qui s'est passé.

La plupart des commentateurs avaient prédis une victoire pour Bush, mais dans les premières heures qui ont suivi la fermeture des bureaux de vote, il apparaissait clairement que Gore et les démocrates faisait mieux que ce que à quoi tous s'attendaient, et ce, dans pratiquement tous les grands États industrialisés qui avaient été définis comme les « champs de bataille ». Tout indiquait un changement décisif en faveur des démocrates. C'est ainsi que les États de la Pennsylvanie et du Michigan, où l'on s'attendait à un résultat quasi égal, ont été remportés par les démocrates avec des avances substantielles. Mais la plus grande surprise de toutes fut lorsque les réseaux annoncèrent assez tôt dans la soirée qu'Al Gore avait remporté l'État de la Floride. Vers 21 heures, le vice-président allait en toute vraisemblance devenir le nouveau président.

C'est alors que s'ensuivit toute une série d'événements étranges. Il y a certaines traditions dans la politique américaine, dont l'une est que lors de la soirée des élections, les candidats présidentiels ne font de déclarations publiques que pour annoncer leur victoire ou concéder leur défaite. Et pourtant, après que les réseaux aient annoncé ­ selon les sondages à la sortie des bureaux de scrutin qui tendent habituellement à être extrêmement précis ­ que l'État de la Floride avait été remporté par Gore, une conférence de presse impromptue fut convoquée à la résidence du gouverneur de l'État du Texas, George W. Bush. Calmement et d'un ton confiant, ce dernier déclara qu'en dépit des prédictions des médias, il allait en fin de compte l'emporter en Floride.

L'apparition et les commentaires de Bush à la télé ont laissé une étrange impression. Comme je disais, cette conférence de presse était une violation du protocole traditionnel de la soirée électorale. Mais non seulement Bush a-t-il fait une apparition prématurée et impromptue pour contester l'évaluation des réseaux télévisés des résultats en Floride, mais il a également été rapporté que les hauts responsables de la campagne Bush exerçaient d'intenses pressions sur les réseaux en exigeant qu'ils reviennent sur leur dires et retirent la Floride de la liste des États remportés par Gore.

L'importance de ces faits apparût par la suite. L'avantage politique dont Bush allait ainsi disposer dans les jours qui suivirent a en effet été basé presque exclusivement sur le fait qu'en fin de compte les réseaux ont finalement accordé la victoire en Floride à Bush et ainsi propager l'idée dans le public qu'il avait remporté l'élection, indépendamment des contestations qui s'ensuivirent.

En tout cas, l'annonce fut faite peu de temps après la conférence de presse de Bush que la Floride était retirée de la colonne des gains potentiels de Gore. Quelques heures après, la Floride était maintenant placée dans la colonne des gains potentiels de Bush puis, vers 2 heures, 2 heures trente, à la lumière des projections des médias, Gore décidait de concéder la défaite.

Gore appela alors Bush au téléphone pour lui souhaiter bonne chance et l'informer qu'il se dirigerait vers un auditorium public pour prononcer son discours de concession. Une chose extraordinaire survint alors. Alors même qu'il se dirigeait vers l'auditorium, la différence du nombre de voix en Floride entre Bush et Gore qui ne cessaient de diminuer commença à chuter rapidement. Les aides du vice-président désespérés parvinrent alors à le contacter dans sa voiture par cellulaire pour l'informer de ce fait et lui demander de revenir sur sa concession. Apparemment, une dispute s'ensuivit entre les occupants de la voiture et le personnel du quartier général de la campagne. Gore dut finalement s'incliner et ordonna au chauffeur de retourner à l'hôtel. Il rappela alors Bush pour l'informer qu'il revenait sur sa concession. Une telle situation ne s'était jamais présentée auparavant. À l'aube du 8 novembre, une seule chose était claire : personne ne savait vraiment qui avait gagner l'élection.

Cette soirée fut le début d'une chaîne d'événements sans précédent dans l'histoire des États-Unis. D'un côté Bush s'accrochait à une avance de quelques centaines de voix en Floride (sur un total de six millions de votes), de l'autre, Gore remportait la majorité des 100 millions de voix du vote populaire à l'échelle du pays, et des rapports faisant mention d'irrégularités dans les élections en Floride commencèrent à arriver. D'une façon ou d'une autre semblait-il, des milliers de juifs du comté de Palm Beach auraient voté pour l'antisémite reconnu Pat Buchanan. Par dérision, un humoriste politique avança qu'ils avaient sans doute été emballés par le récent livre de Buchanan dans lequel il louangeait Hitler. Plusieurs autres rapports survinrent où il était fait mention de harcèlement des électeurs noirs par la police d'État alors qu'ils se rendaient voter, ou encore de milliers de bulletins pour lesquels il n'y aurait de vote pour le candidat présidentiel dans des comtés à majorité démocrates.

La table était mise pour une lutte prolongée et continue à propos du recomptage des voix. La lutte s'est transformée en une bataille politique de plus en plus acerbe, dont la majeure partie devant les tribunaux, et dont le point culminant fut l'audience devant la Cour suprême des États-Unis le 9 décembre. Mais pendant que les tribunaux étaient la principale arène de la lutte, le conflit fut également ponctué par l'arrivée de groupes d'émeutiers engagés par le Parti républicain pour intimider les responsables des élections, et par des appels publics des républicains pour obtenir le soutien des forces armées. On a même été rapporté qu'un haut gradé a été contraint de rappeler à ses officiers subalternes qu'ils devaient, selon le code militaire, s'abstenir de toute activité politique.

Il est devenu de plus en plus évident, et je ne pense pas que cela soit sérieusement contester, qu'un recomptage intégral et honnête des voix en Floride y donnerait la victoire au vice-président Gore, et partant aux élections nationales. Tous les efforts du Parti républicain ­ soutenu par la majorité des médias ­ ont eu pour objectif d'empêcher la tenue d'un tel recomptage.

En ce moment même, tous les yeux sont tournés vers la Cour suprême des États-Unis qui doit rendre sa décision à propos de l'appel déposé par Bush contre la Cour suprême de la Floride. Cette dernière a rejeté la certification initiale de la victoire douteuse de Bush par la secrétaire d'État de la Floride, Katherine Harris. Membre du Parti républicain, Harris est la coprésidente de la campagne de Bush en Floride.

Il était évident que des milliers de votes devaient encore être comptés et que de nombreuses questions restaient sans réponse, mais Harris insista pour certifier la victoire de Bush. Cette certification fut amenée devant la Cour suprême de la Floride qui en dernière minute ordonna à Harris de s'abstenir de certifier que Bush avait gagné l'élection.

Le problème légal était le suivant. Il existe deux statuts en Floride. L'un stipule que le résultat électoral doit avoir été ratifié au bout d'un certain temps, alors que l'autre assure un droit de recomptage des voix. Aucun de ces deux statuts n'est rédigé de façon claire comme c'est souvent le cas avec les procédures législatives, et l'un des objectifs de la Cour est de déterminer comment réconcilier ces deux instructions législatives contradictoires.

Selon la loi, le respect de l'échéance est laissé à la discrétion de la secrétaire d'État, c'est-à-dire qu'elle doit tenir compte de tous les facteurs avant de se soumettre aveuglément à une date statutaire. Cette question a été portée devant la Cour suprême de la Floride, qui a donné tort à la secrétaire d'État, en déclarant que l'aspect technique de l'échéance passait après les questions fondamentales relatives aux droits démocratiques soulevés par l'élection.

La Cour suprême de la Floride a invoqué la Déclaration des droits de la Constitution de l'État de la Floride où il est proclamé que le peuple a des droits inaliénables par l'État. Les juges de la Cour suprême de Floride ont affirmé que « le droit de vote est le premier droit de la Déclaration des droits, car sans cette liberté de base, tous les autres droits sont limités ». Le refus de Harris de retarder la certification pour permettre un recomptage approprié des bulletins litigieux représente, selon la Cour, une utilisation arbitraire de son pouvoir discrétionnaire en tant que représentante de l'État, et par conséquent, une violation de la Constitution de la Floride.

C'est cette décision qui est actuellement examinée par la Cour suprême des États-Unis. Bien qu'une décision favorable à Gore allant dans le sens de la position de la Cour suprême de la Floride ne résulterait pas nécessairement en son élection, une décision contraire mettrait probablement fin au processus et assurerait l'ascension de Bush.

La décision rendue par le tribunal révélera jusqu'où la classe dirigeante américaine est prête à aller dans son rejet des normes démocratiques-bourgeoises et constitutionnelles traditionnelles. Est-elle prête à sanctionner la fraude électorale et la suppression des votes pour installer à la Maison Blanche un candidat qui y ferait son entrée par le biais de méthodes carrément illégales et antidémocratiques ?

Une section substantielle de la bourgeoisie, et peut-être même une majorité à la Cour suprême des États-Unis, est maintenant prête à franchir ce pas. Le soutien des formes traditionnelles de la démocratie bourgeoise au sein des élites dirigeantes aux États-Unis s'est érodé énormément. Un éditorialiste a bien résumé tout le cynisme prévalent à l'endroit de la démocratie dans les cercles dirigeants. « C'est un fait, Gore a probablement remporté plus de votes, et alors ? Gore s'est fait volé en Floride, et les flics du coin s'en foutent ».

 

La nature de la crise

 

Indépendamment de la nature sans précédent des événements de ces trois dernières semaines, tant les leaders politiques que les médias continuent d'insister ­ en totale contradiction avec leur gestes et leurs paroles ­ que les États-Unis ne sont pas plongés dans une crise constitutionnelle majeure. Autrement dit, le public est amené à penser que la situation aux États-Unis est peut-être désespérée, mais ce n'est pas grave. La propagation de la complaisance politique sert les intérêts de l'élite dirigeante qui cherche à appliquer son programme politique le plus possible dans le dos du peuple.

Cette complaisance est reprise non seulement dans ce qui reste de la presse libérale, placide politiquement, mais également par les divers représentants du radicalisme de la classe moyenne. Par exemple, Ralph Nader n'a pratiquement rien à dire à propos de la crise post-électorale hormis des commentaires superficiels relatifs à une simple dispute entre Bush et Gore qui devrait selon lui se régler à pile ou face. Alexander Cockburn, un cynique de gauche bien connu, s'est déclaré satisfait des résultats électoraux. Rien de bien plus que quelques années de blocage politique à Washington. « Le blocage, écrivait-il récemment, mais on a rien contre ! ».

Notons également le commentaire des spartakistes. J'ai le privilège d'avoir une copie de leur journal. Leur position est bien résumée par ce passage : « actuellement, la dispute Gore-Bush est plus une tempête dans un verre d'eau qu'une crise politique de la bourgeoisie ». Et que dire d'une tendance politique aux États-Unis qui a la sagesse de s'appeler le Parti mondial des travailleurs (Workers World Party) et qui écrit : « il n'y a pas de crise sociale ou économique sous-jacente à la débâcle électorale actuelle ». Si tel est le cas, les événements actuels aux États-Unis sont donc inexplicables.

Pour la première fois au XXe siècle, il a été impossible de déterminer le gagnant d'une élection présidentielle aux États-Unis. Le résultat des élections a démontré que l'électorat était plus polarisé que jamais. L'opposition pratiquement égale entre Gore et Bush se reflète également dans la composition du Sénat et de la Chambre des représentants. Et la carte électorale du pays est divisée comme elle l'était entre le Nord et le Sud à la veille de la guerre de Sécession.

Enfin, il a été impossible de résoudre de façon véritablement démocratique le conflit post-électoral dans le cadre des structures constitutionnelles actuelles. Et tous ces gens qui sont de loin les plus fervents croyants en la stabilité du capitalisme américain, nous assurent qu'aucun de ces faits n'est relié à une crise sociale ou économique ! Or une telle évaluation de la situation actuelle ne peut être que le produit de la combinaison de l'ignorance historique et de la cécité politique.

 

Les leçons de l'histoire

 

D'un point de vue formel, les seules élections présentant une certaine ressemblance avec la situation actuelle sont celles de 1876, lorsqu'une opposition survint entre le vote populaire et le collège électoral. Le candidat démocrate Samuel Tilden avait alors recueilli plus de votes populaires que son concurrent. Il détenait aussi probablement plus d'États et de voix au collège électoral, mais par une lutte politique prolongée, les républicains réclamèrent la Maison Blanche en échange de concessions politiques importantes aux anciens esclavagistes du Sud. C'est ainsi que pris fin la Reconstruction aux États-Unis.

Mais cette analogie est inadéquate pour expliquer l'importance de la crise actuelle. Laissez moi revenir encore une fois sur l'argumentation des libéraux et de la gauche de la classe moyenne qui nous assurent que la situation actuelle aux États-Unis n'a rien d'inquiétant. Et pourquoi selon eux ? Parce qu'il n'y a pas de crise sociale et économique fondamentale aux États-Unis. Certes des gens sont irrités, ils se battent pour accéder à la présidence, tout le monde veut gagner, mais il n'y a rien de plus.

S'ils se sentaient forcés de répondre au WSWS, je soupçonne qu'ils qualifieraient d'absurde de déclarer qu'il existe actuellement aux États-Unis des contradictions sociales et économiques telles qu'elles pourraient résulter en grandes luttes politiques, et encore plus en une guerre civile. Car après tout, avant les années 1860, il y avait bien un conflit inéluctable entre l'esclavagisme et le travail salarié. Or, pourraient-ils nous demander, quel conflit social y a-t-il actuellement aux États-Unis qui pourrait se comparer aux événements de l'époque de la guerre de Sécession ?

Pour répondre à cette question, je vais d'abord passer rapidement en revue comment les conflits politiques des années 1850 ont mené en bout de ligne à la guerre de Sécession. Il est intéressant de signaler qu'au cours de la dernière décennie, l'intérêt pour cette guerre a augmenté aux États-Unis. Des films ont été faits, des livres publiés, dont certains excellents, sur ce chapitre extraordinaire de l'histoire américaine et du monde.

La guerre de Sécession est l'un des événements les plus importants du XIXe siècle. Elle a eu un impact profond sur le développement de la classe ouvrière. À tous les niveaux, elle constitue l'un des chapitres les plus héroïques de l'histoire de l'humanité.

En étudiant cette période, on réalise combien l'intensification des contradictions sociales ­ produites par le conflit irrépressible entre la forme particulière et archaïque du capitalisme basé sur l'esclavagisme qui prévalait dans le Sud et sa forme plus moderne et dynamique basé sur le travail salarié dans les États du Nord ­ a entraîné l'effondrement total du système politique.

Pendant les 70 premières années de la République, cet antagonisme entre deux systèmes de travail, l'un esclavagiste, l'autre salarié, était la sinistre ligne de faille de toute la structure politique, sociale, économique et légale des États-Unis. On tenta souvent de trouver le moyen de contenir les antagonismes politiques générés par le conflit social au sein de la structure constitutionnelle créée par les pères fondateurs. Malgré cette profonde contradiction sociale, il y avait un désir profond de préserver l'Union. Mais les événements sociaux, économiques et politiques continuaient d'intensifier les contradictions sociales et rendaient impossibles toute solution politique sans recours à la violence.

C'est ainsi que l'équilibre entre les États esclavagistes et libres fut ébranlé par l'achat de la Louisiane en 1803 qui vit alors l'ajout de vastes territoires à la jeune République. Les premiers dirigeants des États-Unis essayèrent de remédier à cette situation avec le compromis du Missouri de 1820, année où la ligne Mason-Dixon fut désignée comme la frontière entre les États esclavagistes et les États libres. Ce compromis fonctionna pendant environ 30 ans. Mais plus les États-Unis prenaient de l'expansion, notamment après la guerre que le Sud avait provoqué contre le Mexique, et plus l'équilibre des pouvoirs entre les États esclavagistes et libres était déstabilisé.

Représentant la Pennsylvanie au Congrès, David Wilmot y présenta une clause restrictive en 1846 qui demandait qu'aucun territoire acquis par les États-Unis dans la guerre contre le Mexique ne soit ouvert à l'esclavagisme. Le Sud s'opposa avec véhémence à cette mesure. Parmi les supporters de la clause Wilmot, il y avait un membre du Congrès peu connu du nom d'Abraham Lincoln, qui vota, si je me souviens bien, cinq fois en faveur de cette clause au cours de sa carrière de congressiste qui fut relativement brève. Mais le Congrès, alors dominé par les États esclavagistes, n'accepta jamais cette clause.

Une grande lutte éclata alors sur la question de savoir si la Californie entrerait dans l'Union en tant qu'État esclavagiste ou libre. Un compromis fut décidé en bout de ligne et la Californie devint un État libre. Mais pour cela, d'importants compromis politiques furent accordés aux esclavagistes, dont l'un était le Fugitive Slave Act, loi selon laquelle tout esclave qui s'enfuyait au Nord devait être retourné à son propriétaire. L'historien James McPherson livre un compte-rendu poignant de la colère suscitée au Nord lorsque des marshalls fédéraux allaient dans des villes comme Boston, où les sentiments abolitionnistes étaient très forts, pour s'emparer d'anciens esclaves et les ramener à leur ancien propriétaire dans le Sud.

Dans les années 1850, on ressentait que toute la structure politique était de plus en plus déstabilisée par ces conflits. Pour les abolitionnistes opposés à l'esclavage et au pouvoir croissant du Sud, c'était une période très dure. Après un premier mandat au Congrès, Abraham Lincoln abandonna la politique pour se consacrer exclusivement à sa carrière d'avocat. Il devint très en demande dans ses nouvelles fonctions, ce qui eut pour effet de le retirer de la vie politique à toutes fins pratiques.

Puis survint un événement qui provoqua une radicalisation de la vie politique américaine : le Kansas-Nebraska Act de 1854. Avec ce traité s'ouvrait la possibilité d'une expansion de l'esclavagisme dans de nouveaux territoires situés au nord de la ligne Mason-Dixon, ce qui pouvait transformer profondément le caractère de la République. Non seulement la position du travail salarié se retrouverait-elle affaiblie au point de vue économique, mais en outre il y avait là une remise en question des engagements envers les idéaux démocratiques défendus lors de la révolution de 1776.

Selon le Kansas-Nebraska Act, la nature des nouveaux territoires admis dans l'Union devait être décidé par le vote populaire des colons. Ainsi, les pionniers du Kansas devaient voter si leur nouvelle constitution devait être libre ou esclavagiste, déterminant de cette façon le statut de l'État à son entrée dans l'Union.

Le père de ce concept de souveraineté populaire était Stephen Douglas, un des leaders du Parti démocrate. Douglas tenta de rassurer le Nord que, même avec ce traité, compte tenu du climat et de la géographie du Nord, il y avait peu de chances que le système de l'esclavage, principalement axé sur la culture du coton, puisse prendre de l'expansion vers le Nord. Malgré cela, la perception répandue était que ce traité ouvrait toutes grandes les portes pour une expansion de l'esclavage au delà de la ligne Mason-Dixon. En fait, les faits et gestes des sympathisants du Sud qui déferlaient sur le Kansas confirmaient les pires craintes des abolitionnistes.

Les Border Ruffians commencèrent alors à effectuer des raids dans l'État. Ils attaquaient les colons libres en recourant à des méthodes terroristes pour intimider les opposants à l'esclavage. Le climat politique au Nord devint de plus en plus tendu. Toute tentative de restreindre le discours politique dans les normes de la politesse parlementaire devint de moins en moins efficace. Un incident stupéfia le Nord lorsque, en mai 1856, le sénateur Charles Sumner, un abolitionniste respecté, fut agressé au Sénat par un membre sudiste du Congrès qui le battit à coup de canne jusqu'au sang et le laissa à moitié mort sur le plancher du Sénat. Le Sud applaudit à cet acte, et le congressiste reçut des cannes en guise de compliments de ses supporteurs. Au Nord, en revanche, on voyait là une autre manifestation de la barbarie qui régnait dans les États esclavagistes.

Puis en 1857, un autre événement survint qui allait avoir des implications encore plus profondes.
L'une des prémisses essentielles du compromis du Missouri de 1820 était que le Congrès avait le droit de restreindre l'expansion de l'esclavage. En 1857, après avoir été débattu devant les tribunaux pendant plus de dix ans, un procès intenté par un esclave du nom de Dred Scott fut finalement entendu par la Cour suprême des États-Unis.

Dred Scott avait été emmené au Nord par son maître et avait vécu en Illinois et au Wisconsin, deux États libres. Il retourna par la suite avec son maître au Missouri, un État esclavagiste. C'est là que Dred Scott intenta son procès en soutenant que parce qu'il avait été emmené dans un État non esclavagiste, il ne pouvait plus être considéré être un esclave. Le procès commença dans les années 1840, mais ce n'est qu'en 1857 que l'affaire aboutit en Cour suprême.

La décision arrêtée par la Cour suprême eut un impact fondamental sur la vie politique américaine et rendit la guerre civile plus ou moins inévitable. Plusieurs options s'offraient à la Cour suprême. Elle pouvait d'abord décider que Dred Scott était un esclave, et non un citoyen, et que par conséquent il n'avait pas le droit d'intenter un procès contre son maître. Et c'est ce qu'elle fit. C'était déjà trop, mais elle ne s'arrêta pas là. Elle alla jusqu'à déclarer que même si Dred Scott avait été dans un État du Nord, cela n'avait aucun effet sur son statut d'esclave. Bref son message était « esclave un jour, esclave toujours ».

La Cour suprême aurait pu s'arrêter là aussi, mais elle renchérit plutôt en déclarant qu'un individu qui est un esclave n'est en fait qu'un bien, une possession, et qui peut par conséquent être apporté par son propriétaire partout aux États-Unis et demeurer son bien. Et c'est ce qui révolutionna les États-Unis.

Qu'est ce que cela signifiait ? En plus des horribles implications morales ­ que les esclaves ne sont pas vraiment des êtres humains, mais seulement des biens ­ la Cour suprême annulait dans les faits le compromis du Missouri. Elle rejetait la prémisse constitutionnelle selon laquelle le Congrès avait le droit de restreindre l'expansion de l'esclavagisme. Elle proclamait maintenant en fait qu'il n'y avait plus aucune restriction constitutionnelle à l'expansion de l'esclavage nulle part aux États-Unis. Puisqu'il ne pouvait y avoir de restrictions à la propriété, la Cour suprême satisfaisait ainsi les aspirations et les buts des sections les plus agressives et réactionnaires de la société esclavagiste sudiste.

Cette décision eut l'effet d'un coup de tonnerre dans l'opinion publique nordiste. La Cour suprême y avait ainsi perdu toute crédibilité pour des décennies, un fait non négligeable lors de la guerre civile subséquente lorsque Lincoln ignora régulièrement ses décisions. Cette décision changea le visage de la politique américaine. Lincoln qui était revenu en politique suite au traité du Kansas-Nebraska, devint l'un des critiques les plus tranchants de la théorie de la souveraineté populaire de Douglas. Ses partisans devenaient plus nombreux, tout comme le membership du nouveau Parti républicain, lui-même un produit de la réaction contre le traité Kansas-Nebraska et la décision rendue dans l'affaire Dred Scott.

Lorsqu'on étudie cet événement, on ne peut s'empêcher de détecter que les classes dirigeantes sentaient que le mouvement de l'histoire se faisait contre eux. Pour les sudistes, la puissance industrielle et économique croissante du Nord constituait une véritable menace. L'histoire allait à l'encontre des propriétaires d'esclaves, et plus le Sud le sentait, plus il était déterminé à protéger l'esclavagisme là où il était présent, mais également à proclamer la moralité de l'esclavage et à éliminer toutes restrictions à son expansion. En réaction directe à sa faiblesse sociale et économique croissante, l'agressivité politique de la classe dirigeante sudiste augmenta.

Un autre événement important suivit la décision de l'affaire Dred Scott : la controverse de la constitution de Lecompton. Cette constitution avait été rédigée par une section peu représentative des colons esclavagistes qui étaient minoritaires au Kansas. Ces derniers accouchèrent d'un document qu'ils baptisèrent la constitution de Lecompton ­ essentiellement une constitution esclavagiste ­ et qu'ils tentèrent d'imposer à la population du Kansas. Il y eut une amère controverse sur cette question car l'ayant rédigé, ils savaient très bien qu'elle ne pourrait jamais être acceptée par une majorité d'électeurs au Kansas. Ils conspirèrent alors pour qu'elle soit adoptée sans être votée par le peuple du Kansas.

Une immense bataille s'ensuivit. Le peuple du Kansas ayant le droit de voter pour ou contre cette constitution, il était clair que si on leur laissait le choix, il voterait contre. Diverses astuces et manoeuvres furent alors utilisées pour la faire avaler aux colons anti-esclavagistes du Kansas. Pour empirer les choses, le président démocrate Buchanan soutint politiquement ces efforts réactionnaires. Ce n'est que suite à l'opposition de la Chambre des représentants que la constitution de Lecompton fut finalement rejetée, et quelques années plus tard, le Kansas fut intégré à l'Union en tant qu'État libre.

Tous ces événements ne faisaient que démontrer clairement qu'aucun cadre constitutionnel ne permettait de résoudre pacifiquement les divergences entre le Nord et le Sud. En 1860, il était plus qu'évident pour le Nord que le Sud n'accepterait jamais la moindre restriction à l'esclavage. Les sudistes contrôlaient le Congrès et l'appareil judiciaire du pays, et ils n'accepteraient pas non plus de perdre la présidence.

Aux élections de 1860, les États-Unis étaient tout à fait polarisés. Lincoln, le candidat républicain, ne reçut pas un seul vote pour sa candidature dans dix États du Sud. Mais sa victoire fut assurée par un soutien écrasant dans les État libres. Sa victoire à l'élection présidentielle en novembre 1860 fut immédiatement suivie d'une déclaration de sécession, d'abord de la Caroline du Sud, puis de tous les autres États sudistes. À son entrée en fonction, la majeure partie du Sud était déjà en rébellion. En 1861, pour reprendre James McPherson, les Américains tiraient comme ils avaient votés en 1860. Ce qui ne pouvait plus être réglé dans le cadre de la structure constitutionnelle de l'époque devait se régler sur les champs de bataille. Ce n'est qu'après 600 000 morts que le système esclavagiste fut détruit et que les États-Unis furent reconstitués sur la base de la démocratie bourgeoise en abolissant l'esclavage et en octroyant la citoyenneté à l'ensemble de la population.

 

Les États-Unis en l'an 2000

 

Peut-on faire une analogie entre la crise qui a précédé la guerre de Sécession et la situation actuelle ? Y a-t-il un antagonisme social comparable à ce « conflit irrépréssible » qui mena à la guerre de Sécession ?

À dire vrai, c'est un témoignage du terrible déclin du niveau de conscience politique, y compris parmi ceux qui se réclament du marxisme, que l'existence d'une telle contradiction sociale ne soit pas détectée. Les États-Unis sont actuellement le pays le plus polarisé de tous les pays capitalistes avancés. L'absence de luttes sociales articulées politiquement ne signifie pas qu'il n'y a pas de lutte de classes. Marx parlait bien de la lutte de classe « maintenant ouverte, maintenant dissimulée ». Or, même si elle est bien dissimulée aux États-Unis, elle n'en fait pas moins rage sous la surface des événements.

En fait, dans le contexte des inégalités sociales extrêmes qui existent aux États-Unis, l'absence de luttes de classe conscientes politiquement témoigne avant tout de l'intensité de l'oppression sociale de la classe ouvrière. Les immenses ressources corporatistes des États-Unis sont mobilisées en entier pour abrutir politiquement et idéologiquement les masses. L'assaut actuel contre le droit de vote n'est que la manifestation politique inévitable d'une tendance sous-jacente visant à exclure systématiquement la classe ouvrière de toute forme de participation indépendante à la vie politique.

Il est essentiel d'examiner la transcription de la discussion qui s'est tenue à la Cour suprême le 10 décembre, et plus particulièrement les positions d'Antonin Scalia, un personnage brutal, peu respectable et qui a autant d'intégrité qu'un avocat véreux. Lorsqu'il a questionné le conseiller de Gore, Laurence Tribe, Scalia a élaboré une justification des plus cyniques pour renverser la décision de la Cour suprême de la Floride.

Certains des arguments présentés sont complexes, mais je vais tenter d'expliquer les questions qui ont été soulevées. Laissez moi vous donner une idée de la pensée de Scalia, qui est par ailleurs partagée par le juge en chef William Rehnquist, et probablement aussi par le juge adjoint Clarence Thomas, soit trois des neufs juges.

La question est la suivante : la Cour suprême de la Floride peut-elle annuler un geste posé par le secrétaire d'État ? Les républicains prétendent que la date limite est inviolable, que la Cour suprême de la Floride n'a pas le droit de changer les règles. L'argument de la Cour suprême de la Floride était que le droit de vote est un droit démocratique fondamental qui ne peut être subordonné à des technicalités administratives telles qu'une échéance. L'argument présenté par Scalia était que ce dont il s'agissait en Floride, c'est de choisir ses grands électeurs, c'est à dire ceux qui, conformément aux procédures du collège électoral, votent pour un candidat présidentiel.

Beaucoup d'entre vous avez entendu parler du collège électoral, mais laissez moi l'expliquer. Les Américains n'élisent pas directement leur président. L'élection présidentielle est en fait la somme de 51 élections locales, soit 50 élections d'État et une élection tenue dans le District de Columbia. Le candidat remportant la majorité dans un État récolte normalement tous les votes électoraux de cet État. Le nombre de votes électoraux d'un État n'est pas scritement proportionnel à l'importance de sa population. Les plus grands États ont en effet plus de votes électoraux que les petits, mais ces derniers sont sureprésentés puisqu'ils obtiennent automatiquement un vote électoral pour chacun de leurs deux sénateurs. Au Wyoming, 250 000 électeurs équivalent à un vote électoral alors qu'à New York il faut 500 000 électeurs pour obtenir un vote électoral.

Pourquoi est ce que l'anomalie du collège électoral a-t-elle subsisté ? Cela faisait partie des arrangements fédéraux établis pour rassembler les États-Unis, pour s'assurer que les États les plus petits puissent faire entendre leurs voix. Le collège électoral garantit une certaine voix souveraine aux États pour le choix du président. C'était une partie importante de l'entente constitutionnelle fédérale ­ une division complexe des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les États.

Cependant, il y avait un autre argument pour la création du collège électoral, qui lui est beaucoup moins noble. Les pères fondateurs pensaient que le peuple pourrait bien voter incorrectement, c'est-à-dire qu'il choisisse un candidat que les élites dirigeantes n'approuveraient pas. Il y avait un sous-entendu dans le libellé de la constitution qui était profondément antidémocratique et qui reflétait la vision des représentants de la haute strate privilégiée de la société. Le collège électoral était en bout de ligne un dispositif de sûreté intégré, un moyen de diriger par dessus le peuple si jamais il votait du « mauvais » coté.

Dans les faits, cela ne s'est jamais produit, et le collège électoral a subsisté tel un anachronisme bizarre. Il n'a jamais été remis en question non plus puisque le candidat qui remporte une élection d'État a le droit d'envoyer sa liste d'électeurs au collège électoral.

Laissez moi revenir sur les questions débattues à la Cour suprême. Scalia a commencé à jongler avec l'idée que ce qui comptait réellement dans une élection présidentielle, c'était le choix des grands électeurs. Puis il a continué en affirmant qu'il n'existait aucun droit de vote pour le choix de ces derniers, qu'il ne revient pas au peuple de choisir les grands électeurs, mais bien à la législature de l'État. Par conséquent, les problèmes relatifs aux élections du président n'ont rien à voir avec le peuple, et il est tout à fait déplacé pour la Cour suprême de commencer à évoquer la déclaration des droits pour renverser un statut adopté par la législature. En dernière analyse, Scalia soutient qu'il n'y a pas de droit de vote pour l'élection du président.

En quoi une telle prise de position fait-elle réapparaître le spectre de l'affaire Dred Scott ? Comme en 1857, Scalia profite de l'occasion de l'appel adressé par Bush à la Cour suprême de la Floride pour légitimer l'interprétation la plus réactionnaire possible de la Constitution des États-Unis. Tout comme le juge de la Cour suprême Roger Taney avait vu dans l'affaire Dred Scott l'occasion de légitimer l'esclavage partout aux États-Unis, Scalia utilise la situation actuelle pour porter un coup fatal au droit démocratique le plus fondamental : le droit de vote. Il introduit et légitimise une interprétation profondément antidémocratique de la constitution américaine.

C'est un fait, le peuple ne vote pas directement pour le président. Mais si le collège électoral subsiste toujours, c'est parce que sa composition correspond au vote populaire des États. Le collège électoral n'aurait jamais pu subsister en tant qu'anachronisme bizarre du système politique américain si ses gestes étaient allés à l'encontre de la volonté du peuple.

Il ne s'agit pas ici de simple spéculation. Scalia est un agent provocateur politique qui a pressé la législature de Floride à choisir des grands électeurs pro-Bush, indépendamment du résultat des élections en Floride. Parallèlement, il élabore une conception autoritaire, en fait même oligarchique de la démocratie (plutôt de l'antidémocratie) américaine qui correspond à ce qui est acceptable pour les sections les plus réactionnaires de l'élite dirigeante américaine.

Il faut se demander ce qui explique ces extraordinaires développements ? Scalia ne fait-il que jouer avec des théories ? Ou bien y a-t-il un fondement social qui fait que ces contradictions se manifestent tout à coup au sein de la vie politique des États-Unis ? En guise de réponse à cette question, je vous citerai un passage de la déclaration électorale de notre parti publié en anglais (disponible en français sur ce site) dans le dernier numéro de la revue World Socialist Web Site Review.

« Au sommet de la société américaine, on trouve la classe possédante la plus riche de l'histoire, autant du point de vue des revenus que de celui de la richesse. Les foyers américains qui font partie du 1 p. 100 le plus riche ont amassé une richesse de plus de 10 000 milliards de dollars, soit à peu près 40 p. 100 de la richesse nationale. L'avoir combiné de ces multimillionnaires vaut plus que celui des 95 p. 100 les plus pauvres.

« Depuis le milieu des années 1970, le 1 p. 100 le plus riche a doublé sa part de la richesse nationale, qui est passée de moins de 20 p. 100 à 38,9 p. 100, le plus fort pourcentage depuis 1929, l'année du krach boursier qui a annoncé la Grande Dépression. Selon une autre étude, ce 1 p. 100 des foyers les plus riches possède la moitié des actions, les deux tiers des titres financiers et plus de deux tiers des actifs des sociétés.

« L'inégalité des revenus est aussi marquée que celle de la propriété. En 1999, le 1 p. 100 le plus riche a eu autant en revenus après impôts que les 38 p. 100 les plus pauvres. Ceci signifie que les 2,7 millions d'Américains les plus riches ont reçu autant de revenus après avoir payé leurs impôts que les 100 millions d'Américains les plus pauvres. Le revenu après impôts de ces 2,7 millions de personnes a augmenté 370 p. 100 depuis 1977, passant de 234 700 à 868 000 dollars.

« Pendant toute la période de 1983 à 1995 ces deux couches de l'élite, les riches et les ultra-riches qui constituent les 5 p. 100 les plus aisés de la population ont été les seuls foyers à voir croître leur valeur financière nette. Ce fait mérite qu'on le répète. Pendant une période de 12 années, où Reagan, Bush et Clinton furent présidents, la « magie du marché » a signifié une perte nette pour 95 p. 100 de la population, tandis que seuls les 5 p. 100 les plus riches ont pu augmenter leurs avoirs.

« Pendant les années 1990, l'élite dirigeante est devenue complètement obsédée par les revenus obtenus sans travail et s'est sentie libérée de toute contrainte à l'accumulation des profits. La course ouverte et crue vers l'enrichissement personnel fait pâlir en comparaison tous les « âges d'or » précédents. Les gains des PDG ont augmenté de 535 p. 100 sous l'administration Clinton-Gore. Le patron typique reçoit 475 fois le salaire de l'ouvrier moyen, et 728 fois le salaire d'un ouvrier au salaire minimum. Si les salaires des ouvriers avaient augmenté autant que la compensation des PDG, l'ouvrier moyen gagnerait 114 000 dollars et le salaire minimum serait de 24 dollars l'heure ».

Voilà un portrait criant de ce qu'est l'inégalité sociale. Penser que des formes démocratiques puissent être maintenues avec de tels niveaux de polarisation sociale, c'est tout simplement ignorer les leçons de l'histoire. La relation entre les formes politiques et la structure de classe d'une société revêt un caractère dialectique complexe. Mais à long terme, on arrive à un point où les tensions sociales produites par les inégalités sociales rampantes ne peuvent plus être contenues au moyen des formes démocratiques traditionnelles. La société américaine a atteint ce point.

 

Le système bipartite aux États-Unis

 

L'une des caractéristiques particulières de la vie politique américaine, c'est l'institutionnalisation d'un système bipartite qui subsiste depuis près de 135 ans. Historiquement, la grande faiblesse du mouvement ouvrier américain a été son incapacité de construire un parti politique indépendant. La vie politique dans ce pays a en fait toujours été dominée par deux partis bourgeois qui défendent les intérêts politiques de la classe capitaliste depuis plus d'un siècle, les démocrates et les républicains.

Bien entendu, ces partis se sont grandement transformés au cours de leur longue histoire. Le Parti républicain actuel a peu en commun avec celui des années 1950 de l'époque d'Eisenhower, et encore moins avec celui que Lincoln dirigeait. Pareillement, le Parti démocrate a entrepris de nombreux changements, le plus significatif étant son alliance forgée avec la bureaucratie syndicale du Congrès des organisations industrielles (CIO) sous le leadership de Franklin Delano Roosevelt. Ce parti a également assumé un rôle social-libéral plus explicite, du moins dans les États du Nord.

Retracer l'évolution historique de ces deux partis va au delà de la portée de ce rapport. Mais pour résumer, disons, et c'est pour le moins évident, que le centre de gravité de la politique américaine s'est déplacé radicalement vers la droite. Le libéralisme social qui était la tendance dominante de la politique bourgeoisie américaine depuis plus d'un demi-siècle, a virtuellement cessé d'exister. Un changement qui s'explique en bout de ligne par des causes objectives. En dépit de tout le battage publicitaire à propos de la puissance du capitalisme américain, cette idéologie est devenue encore moins capable d'accommoder les demandes de réforme sociale de la classe ouvrière. La dernière législation sociale progressiste importante aux États-Unis date déjà de 30 ans.

Et pourtant, malgré qu'il n'offre aucune réforme sociale substantielle, le Parti démocrate continue de se présenter comme le champion des intérêts des travailleurs américains. De son côté, le Parti républicain se transforme de plus en plus ouvertement en organisation d'extrême-droite. La rapacité déchaînée des sections les plus brutales de l'élite dirigeante, y compris des éléments dont la richesse est un produit du boum financier des années 1980 et 1990, trouve son expression la plus directe dans le Parti républicain.

Essentiellement, le programme politique du Parti républicain pourrait se résumer en une seule phrase : « éliminer toute contrainte économique, politique, sociale et morale, à l'exploitation de la main d'uvre, à la réalisation des profits pour les entreprises et à l'accumulation des richesses personnelles ». Tel est leur programme qu'ils ont d'ailleurs présenté crûment tout au long de la campagne électorale. Malgré ses diverses proclamations de « conservatisme de compassion », Bush n'a pas moins présidé à plus de 135 exécutions dans l'État du Texas. Cet homme a déjà déclaré que la décision d'infliger ou non la peine de mort était la question la plus importante qu'il ait eu à résoudre de sa vie. Or de proches témoins ont affirmé qu'il n'a jamais pris plus de 15 minutes pour prendre une telle décision.

Derrière toutes les questions soulevées pendant la campagne électorale se trouve la question essentielle de la distribution de la richesse sociale. Il n'y a pas de parti ouvrier de masse aux États-Unis. Tout le débat politique est canalisé par deux partis bourgeois essentiellement réactionnaires. C'est pourquoi ces derniers ne peuvent faire autrement que d'être sur la sellette à propos de toutes les questions sociales du pays.

En tant que socialistes, nous ne demandons pas de voter pour quelque parti bourgeois que ce soit. Nous ne pratiquons pas la politique du « moindre mal ». Et nous ne justifions pas plus notre opposition au Parti démocrate en déclarant qu'il n'est qu'un reflet du Parti républicain. Les conflits stratégiques et programmatiques qui déchirent l'élite dirigeante prend forme dans une lutte entre ces deux partis.

Lors de la campagne électorale, le Parti démocrate a tenté, de façon hypocrite assurément, de se présenter comme le parti du peuple. Gore a déclaré « je me bats pour le peuple et non pour les puissants ». Par contre, il a beau déclaré sans arrêt et sans la moindre gêne qu'il parle au nom des travailleurs, il ne s'en est pas moins pris à leurs intérêts chaque fois qu'est venu le temps de parler d'impôts, de sécurité sociale, de soins de santé et d'éducation. Implicitement, le point central de toutes ces questions est la distribution et l'allocation de la richesse sociale.

La campagne de Bush était centrée sur deux demandes : l'abaissement de l'impôt des particuliers et l'abolition de l'impôt sur les successions. Bush ne s'en est jamais caché. Lors d'un débat, il n'a cessé de répéter que l'imposition qu'il préconisait bénéficierait avant tout au 1 p. 100 les plus riches de la société américaine. « Pourquoi en serait-il autrement ? Ce sont bien eux qui payent le plus d'impôts ». La politique de Bush est centrée sur l'accélération du transfert de richesse massif actuel qui s'effectue vers les sections les plus riches de la société.

D'importantes sections de la classe ouvrière ne perçoivent pas nécessairement quoi que ce soit de positif dans le programme de Gore, mais ils reconnaissent certainement en Bush une menace pour leur droits sociaux et démocratiques. Le taux de participation des travailleurs noirs en Floride et dans les États industriels notamment a en effet été beaucoup plus important que prévu.

La carte électorale montre clairement les divisions sociales qui existent aux États-Unis. Le vote démocrate s'est concentré dans les principales régions industrielles et les grandes villes. Tous les États qui jouent un rôle décisif dans la vie économique des États-Unis ­ la Californie, l'État de New York, la Pennsylvanie, le Michigan ­ ont été remportés par les démocrates. Le vote républicain s'est concentré dans le Sud, l'ancien bastion de la société esclavagiste, et dans la partie supérieure du Midwest, en gros les parties les plus rétrogrades des États-Unis.

La réaction du Parti républicain devant le résultat des élections et lors de la bataille qui s'en est ensuivie trahit une agressivité et une brutalité extraordinaires que de nombreux commentateurs ont eu de la difficulté à expliquer. Encore une fois, il est essentiel d'attirer l'attention sur les visées de cette section de la bourgeoisie.

Laissez moi vous lire un passage d'un article qui a été écrit par un commentateur de droite qui était membre de l'administration Reagan en 1980, Paul Craig Roberts. Hystérique à propos de la dispute post-électorale, il a déclaré : « nous sommes en train de nous faire voler notre pays. Au point de vue géographique, Gore n'occupe qu'un sixième du territoire. Les cinq sixièmes des États-Unis l'ont rejeté, lui et son parti corrompu. Du fait de la densité de population des zones urbaines, les cartes montrant les résultats électoraux exagèrent énormément le soutien à Gore par État.

« Une carte du vote par comtés ne montre qu'une faible présence de Gore. Le vote pour Gore est confiné aux comtés hispanophones du sud-ouest, aux comtés côtiers de la Californie, ceux de Portland en Oregon, des environs de Puget Sound dans l'État de Washington, du Minnesota et des régions urbaines des États des Grands Lacs, aux comtés juifs de Floride, à ceux à forte prédominance noire du sud-est et à ceux des zones fortement urbanisées du nord-est (Philadelphie, New York, Connecticut, Massachusetts et Rhode Island), au Vermont et à des parties du Maine.

« Géographiquement parlant, la carte montre un pays contrôlé par quelques comtés urbains densément peuplés ou les nouveaux immigrants et les minorités raciales constituent un haut pourcentage de la population... Le Parti démocrate est un parti de libéraux blancs aisés, d'universitaires, de journalistes, de femmes célibataires et de minorités raciales. C'est un parti révolutionnaire, dont le but est de renverser le ''pouvoir hégémonique'' de la moralité, des principes, des institutions et du peuple américain traditionnel. Il poursuit en affirmant que les républicains ne pourront jamais obtenir les voix de ce bloc électoral endurci. Les Noirs ont voté entre 90 et 93 p. 100 pour Gore, et les hispanophones lui ont donné entre les deux tiers et les trois quarts de leurs votes. Plus longtemps les frontières resteront ouvertes, et plus vite le pays sera perdu ».

Les républicains voient un pays qui bouge, autant démographiquement que socialement, en termes objectifs, contre eux. Les forces de ce parti sont de plus en plus désespérées et déterminées à utiliser tous les moyens pour gagner la Maison Blanche. Elles sont prêtes à utiliser leur contrôle de l'appareil judiciaire et du Congrès pour faire reculer ce qu'ils considèrent comme la menace croissante des masses.

 

Développements mondiaux et crise américaine

 

Lorsque l'on considère la signification de cette situation, et aussi pour répondre à ceux qui disent qu'il n'existe pas de fondements économiques ou sociaux qui expliqueraient une crise constitutionnelle majeure, laissez-moi souligner une autre ressemblance entre la décennie qui a précédé la Guerre civile et aujourd'hui.

Des changements économiques absolument colossaux formaient l'arrière-plan des contradictions politiques de cette époque. Les États-Unis connurent alors une période de transformations économiques exceptionnelles : l'émergence des industries, des chemins de fer et des télégraphes qui sont les premiers signes d'une Amérique industrielle moderne.

Pour citer un historien bien connu, Bruce Catton : « la tendance économique était claire : toutes les avancées technologiques, le chemin de fer, le bateau à vapeur, le télégraphe, la nouvelle machinerie agricole et la manufacture allaient dans le même sens, celui de l'unité nationale et d'une société industrielle complexe, ainsi qu'une intégration poussée dans l'économie mondiale. L'autosuffisance rurale et l'isolement, sauf dans quelques poches, ont fait place à la production commerciale pour des marchés éloignés aussi bien nationaux qu'internationaux. Une guerre en Crimée, une panique à la Bourse de Paris ou une diminution des taux d'intérêt de la Banque d'Angleterre généraient des ondes de choc qui déferlaient jusque sur l'industrie textile de Monomgahela et sur les hauts fourneaux de Pittsburgh. »

Comme pour les 1850, les 1980 et les 1990 furent des années de transformations exceptionnelles aux États-Unis, en conséquence de l'impact des nouvelles technologies révolutionnaires qui ont accéléré le processus de mondialisation. Les changements dans la structure sociale, le déclin de la position de la classe moyenne traditionnelle, la prolétarisation généralisée de la société américaine, sont tous liés avec ses changements fondamentaux de la base économique de la société. Et ce sont ces processus mêmes qui donnent l'impulsion la plus importante à la crise qui se développe présentement aux États-Unis.

Au début des 1990, au beau milieu de la crise en Union Soviétique, le CIQI a insisté que les causes premières de l'effondrement de l'URSS et des régimes staliniens de l'Europe de l'Est n'étaient pas la faillite du socialisme, si bien que le socialisme ait jamais existé dans ces pays. Ces économies nationales et autarciques, en fait les économies nationales les plus faibles au monde, se sont effondrées devant les pressions des forces économiques

mondiales. Plutôt que ceci représente un nouveau stade du développement du capitalisme mondial, l'effondrement de l'Union Soviétique et des autres régimes staliniens de l'Europe de l'Est a été le produit de tendances mondiales de développement et de crise économique qui viendraient à la longue ébranler les centres développés de l'impérialisme mondial.

Cela a pris un certain temps. Il y a eu la période inévitable du triomphalisme, les proclamations de la victoire du capitalisme mondial. Mais, comme le dit le dicton, les roues de l'histoire ne broient pas rapidement, mais elles broient très finement. Les processus économiques de la mondialisation, qui avaient soufflé sur l'Union Soviétique et entraîné sur leur passage les institutions apparemment immuables du stalinisme presque du jour au lendemain font maintenant sentir leur présence sur les sections les plus développées du capitalisme mondial, et même sur les États-Unis eux-mêmes.

C'est pourquoi, en dernière analyse, la crise américaine est une crise mondiale. Avec la déstabilisation politique du capitalisme américain, ainsi que l'extrême dislocation économique, les événements politiques intensifient les processus qui mènent à un sérieux ralentissement économique. Qui peut douter que ces événements n'aient pas d'échos à l'échelle internationale ?

J'aimerais revenir sur un point que j'avais fait au début de mes remarques. Ce sur quoi s'appuient tous ceux qui doutent ou qui nient la viabilité du marxisme, le grand territoire sur lequel se sont effondrés tous les espoirs de révolution sociale, ce furent encore et toujours les États-Unis.

En fin de compte, peu importait les problèmes dans lesquels se fourrait le capitalisme en quelque région du monde, l'Oncle Sam venait toujours pour vous sortir du pétrin. La Réserve fédérale n'avait qu'à ouvrir ses goussets et l'argent se mettait à couler. Le Mexique peut faire faillite, c'est là qu'on enverra l'argent. L'Asie peut se trouver à cours, mais on trouvera bien quelque chose pour tout arranger.

Mais qu'arrive-t-il lorsque l'Oncle Sam a une crise cardiaque ? Qui va le sortir du pétrin ? Qui le sauvera ? C'est une question que personne n'a eue à se poser et personne n'a eue à s'en préoccuper au vingtième siècle. Aujourd'hui, alors que nous entrons dans le vingt et unième, cela devient un problème de première importance.

Howard en Australie ou Blair en Angleterre savent bien que ce n'est pas une bonne chose pour le capitalisme mondial. Ce n'est pas un bon temps pour demander de l'argent à l'Oncle Sam, encore moins pour un conseil politique. Qui, après la débâcle de la Floride, voudra-t-il encore écouter Jimmy Carter sur la façon d'organiser une élection démocratique ?

Ces événements n'ont pas que d'immenses conséquences économiques. Ils changeront aussi la psychologie sociale qui joue un rôle important dans l'évolution d'une situation révolutionnaire. En bout de ligne, la raison prend une immense importance dans le développement d'une révolution.

Trotsky avait très bien expliqué ce point. Il y a une composante objective à une crise révolutionnaire. Lorsque les formes de la production entrent en conflit avec les rapports sociaux existants, alors débute une époque révolutionnaire. Mais ces contradictions objectives doivent se frayer un chemin jusqu'à la conscience de la masse des gens. Les gens devront commencer à penser à la révolution. Ils devront vouloir la révolution et croire qu'elle est viable. Ils devront croire non seulement à la nécessité mais encore à la possibilité d'un changement social fondamental. Finalement, il n'est pas du pouvoir d'un État capitaliste de bloquer la révolution. D'un point de vue plus essentiel et plus historique, cela dépend plutôt du manque de la confiance politique et de la conscience politique au sein des masses qu'elles peuvent intervenir et reconstruire la société de pied en cap. La crise actuelle donnera l'impulsion pour des changements significatifs et progressistes de la conscience sociale.

Les événements qui prennent place présentement aux États-Unis signifient la fin d'une longue période où les affaires du capitalisme mondial pouvaient être menées en toute sécurité des États-Unis. Les États-Unis ne peuvent désormais plus jouer ce rôle. La crise aux États-Unis a mis à l'ordre du jour la viabilité du système capitaliste et elle offre assurément l'occasion pour que la classe ouvrière agisse comme une force historique décisive. C'est ce qui se prépare. Bien qu'elle n'ait pas encore atteint ce point dans son développement, la classe ouvrière américaine fera sentir sa présence. Les gens ont maintenant leur mot à dire sur la façon dont la crise se réglera. Si ce n'est pas au cours de la semaine, du mois, des six mois ou même de l'an qui vient, il ne peut quand même tellement tardé avant que nous commencions à voir un mouvement de cette force sociale immensément puissante qu'est le prolétariat américain.

Que cela signifie-t-il pour nous ? Nous devons accroître le nombre des lecteurs du World Socialist Web Site. Nous devons répondre à l'augmentation continuelle des questions et des demandes ainsi que développer notre analyse dans un vaste et puissant mouvement international de marxistes révolutionnaires. De ces développements, nous devons construire le Parti de l'égalité socialiste aux États-Unis, en tant que section du Comité International de la Quatrième Internationale. Telle est notre perspective. Nous devons entrer dans une nouvelle période historique qui sera caractérisée par un immense développement des forces du marxisme international.

Sources WSWS

 

Posté par Adriana Evangelizt

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