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10 mai 2009 7 10 /05 /mai /2009 09:47

 

 

L'introduction de l'euro annonce d'importants conflits sociaux et économiques

 

Par Chris Talbot et Chris Marsden
Le 21 janvier 1999


 

En unifiant onze économies dans une zone monétaire commune, l'introduction de l'euro au début de l'année a créé un marché de près de 300 millions de personnes, soit le deuxième en importance après celui des États-Unis. Les gouvernements du monde et la presse financière ont alors été dominés par une seule question : « l'euro va-t-il ébranler la prédominance du dollar ? »

Le simple fait de poser cette question démontre toute l'importance historique de l'euro. La création de cette devise représente un développement majeur du marché unique européen créé en 1992 et dont l'objectif est de créer les conditions qui permettront à l'Europe de concurrencer efficacement les États-Unis et l'Asie.

L'euro est le point culminant d'un projet conçu pour relever le défi de la mondialisation de la production. L'objectif central des gouvernements européens est d'aller au delà des restrictions imposées par la division du continent en économies nationales disparates dotées de politiques monétaires et fiscales conflictuelles, de tarifs et autres restrictions affectant les échanges commerciaux et les investissements.

Dans un sens, l'euro découle logiquement du projet de l'union européenne qui est en branle depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Mais ce qui a vraiment lancé sa création, ce sont les efforts des gouvernements européens pour trouver une réponse économique et politique aux transformations fondamentales qui sont apparues au sein du capitalisme mondial à la fin des années 70 et durant les années 80.

Les années 80 ont en effet été le théâtre d'une intégration économique de l'Europe sans précédent au cours des 30 dernières années. À la fin de cette décennie, 60 p. 100 des échanges commerciaux de la communauté européenne se faisaient au sein même de la CEE, comparativement à 36 p. 100 en 1958. Les investissements directs transfrontaliers entre l'Allemagne et la France ont ainsi augmenté de huit fois pour atteindre un sommet de 2 milliards $US. Les entreprises allemandes comptent 2 000 filiales en France, alors que cette dernière en dénombre 1 000 en Allemagne.

La division croissante de l'économie mondiale en blocs commerciaux rivaux (Japon et pays de l'Asie-Pacifique d'un côté et l'Accord de libre-échange nord-américain de l'autre) a donné un élan supplémentaire. C'est ainsi que de 1986 à 1987 par exemple, les investissements directs allemands au sein de la CEE ont été multipliés par cinq, passant de 3,8 milliards DM à 22,9 milliards DM.

L'Allemagne joue le rôle de centrale électrique économique du continent et son alliance avec la France constitue la pierre angulaire de toute la politique européenne. La réunification allemande de 1989 a été le dernier coup d'éperon qui a entraîné le projet final d'introduire une monnaie unique. Un accord stratégique a alors été conclu selon lequel, en échange du soutien européen à la réunification allemande, l'Allemagne acceptait que le deutsche mark soit soumis à une devise européenne commune et qu'une banque centrale européenne indépendante soit créée pour servir de pilier central à la nouvelle monnaie.

C'est en 1989 au sommet de la CEE à Madrid que le plan en trois étapes proposé par Jacques Delors était accepté pour l'introduction de l'euro, pour être ensuite mis en pratique dès décembre 1991 avec le traité de Maastricht. Ainsi était réglée la question des « critères de convergence » qui allait permettre d'harmoniser les diverses économies et politiques économiques d'Europe, notamment en limitant les emprunts des gouvernements à 3 p. 100 du PIB. La date d'entrée en vigueur de l'euro avait alors été fixée au 1er janvier 1998.

Toutefois, dix mois seulement après la signature du traité de Maastricht, le projet de l'euro semblait déjà avorté. La spéculation axée contre les devises les plus faibles d'Europe forcèrent la livre britannique et la lire italienne à se retirer du mécanisme de change européen lors du « mercredi noir » de septembre 1992. Le marché des devises connut ensuite une année turbulente où les ministres des finances européens furent contraints d'accepter une fluctuation plus grande entre les diverses devises de plus ou moins 15 p. 100. L'introduction de l'euro fut alors repoussée à janvier 1999.

Malgré cet important recul suivi d'une période de consolidation et de la signature du Pacte de stabilité beaucoup plus strict au sommet de la CE de Dublin en 1996, l'euro est maintenant devenu une réalité. En mettant bien des questions à l'écart, les onze pays ont réussi à rencontrer les critères fixés relatifs à l'inflation, aux taux de changes et d'intérêt, et aux déficits gouvernementaux. La façon même dont cela s'est déroulé résume bien la transformation politique fondamentale survenue en Europe.

Rassembler les conditions permettant l'introduction de l'euro a exigé une offensive sans précédent contre les emplois et les niveaux de vie. Pour obtenir le soutien des marchés financiers et sécuriser le les échanges commerciaux et les investissements, les gouvernements de toute l'Europe ont lancé un assaut à fond contre les budgets alloués aux programmes sociaux et contre les salaires, en plus d'effectuer la rationalisation des industries non profitables. Cet abandon de la politique du consensus social qui a dominé l'Europe d'après-guerre s'est traduite par l'élection de gouvernements de droite sur tout le continent. La pauvreté a ensuite atteint des dimensions sans précédents alors que les plus nantis à la tête de la société se sont enrichis encore plus. Même dans l'Allemagne encore relativement prospère qui compte un million de propriétaires millionnaires et 25 000 personnes avec des revenus d'un million et plus par année, 2,7 millions de personnes vivaient de l'aide sociale à la fin de 1996 (chiffre comprenant 1 million d'enfants et d'adolescents). On estime que 1,7 million de personnes devraient également recevoir de l'aide sociale.

Au bout d'un certain temps, le contrecoup politique s'est fait sentir et on a assisté à la débandade de la majorité des gouvernements de droite d'Europe. Aujourd'hui, ce sont les partis social-démocrates et les coalitions de gauche qui dominent le continent, et c'est conséquemment à eux que l'euro doit son succès final. Il est ironique de constater que le projet lancé par Kohl et Chirac ait été terminé par Schroeder et Jospin. Ce fait démontre bien jusqu'à quel point les social-démocrates et les anciens staliniens appliquent maintenant l'ordre du jour économique de la droite. Plutôt que de procéder à des changements, ils ont imposé sans même rechigner les attaques nécessaires pour arriver à l'union monétaire et mener à bien ce projet. C'est ainsi que le gouvernement formé par le Parti socialiste de Lionel Jospin en France a appliqué une politique d'austérité majeure et un programme de privatisation encore plus important que ses prédécesseurs de droite. Ce même gouvernement s'apprête maintenant a réduire les dépenses publiques de 54 à 51 p. 100 du PIB, et le déficit budgétaire qui est actuellement à 3 p. 100, tel que demandé par l'accord de Maastricht, à environ 1 p. 100 pour 2002.

Europe et Amérique

L'introduction de l'euro constitue le changement le plus fondamental dans les relations économiques et politiques internationales depuis la chute de l'URSS. Selon les dires mêmes du Financial Times, cela constitue un " défi d'une amplitude sismique au dollar, la première menace véritable depuis qu'il a supplanté la livre sterling au lendemain de la Première Guerre mondiale. " Au Japon, le quotidien Mainichi a titré un véritable cri de guerre en première page : « Renverser la domination du dollar ! »

Pendant un demi-siècle, le dollar a en effet occupé un rôle hégémonique au sein de l'économie mondiale, représentant près de 60 p. 100 des réserves mondiales de capitaux, soit quatre fois plus que toutes les devises européennes réunies. Cette situation a permis aux États-Unis, la plus grande nation débitrice au monde avec des avoirs de 1,5 billion $US, d'emprunter sans problème au cours des dernières décennies dans le reste du monde et ainsi accumuler un déficit de plus 200 milliards $US.

En comparaison, l'Europe présente un surplus commercial face au reste du monde d'environ 1 billion $US. L'euro constitue donc ainsi le premier concurrent sérieux au dollar pour créer une réserve monétaire. En outre, un changement important de l'euro est anticipé. La firme de placement Merrill Lynch estime en effet que les investisseurs pourraient convertir en euro jusqu'à 1 billion $US, et les banques centrales jusqu'à 300 milliards $US. L'impact sur l'économie américaine pourrait alors être énorme. Prenons par exemple cette année où la Banque centrale américaine avait la possibilité de baisser rapidement les taux d'intérêts aux États-Unis et ainsi stimuler l'économie et conséquemment prévenir une récession. Dorénavant cette option ne sera plus disponible.

La compétition entre l'Europe et les États-Unis va aller en s'intensifiant pour devenir un important facteur d'instabilité économique et de tensions politiques croissantes. Même si le Japon a bien accueilli cette mesure qu'il perçoit comme un facteur d'affaiblissement du dollar, allant même jusqu'à entreprendre des pourparlers pour peut-être coordonner sa monnaie avec l'euro, le premier ministre Obuchi a néanmoins insisté lors de sa récente visite en Allemagne que le yen devrait jouir de la même importance que le dollar et l'euro.

Suite à l'introduction de l'euro, la première réaction des États-Unis a été assez optimiste. Il y a en effet une croyance répandue que l'Union monétaire européenne sera profitable pour les entreprises américaines et cela pour diverses raisons. Le capital sera en effet plus mobile et l'élimination des frais de change des devises feront économiser annuellement 65 milliards $US aux entreprises qui font des affaires dans la zone de l'euro. Le capital financier occupera également un rôle plus important, avec la création d'un marché des obligations de 2 billions $US en euros et une possibilité d'approche des marchés boursiers à la grandeur de l'Europe. Les commentateurs américains anticipent comme résultat une importante montée des profits, comme le démontre si bien la déclaration de Rudi Dornbusch du MIT : « les marchés financiers sont bons quand vient le temps de botter le cul, et c'est exactement ce que les sociétés européennes géantes ont de besoin ! »

 

Toutefois, certains sont tout de même inquiets. Ainsi, dans un article, le Wall Street Journal publiait : « l'Europe a lancé le premier défi de l'après-guerre contre la domination du dollar américain sur le commerce et les finances internationaux. L'avènement de l'Union monétaire européenne ne fait pas que changer le paysage financier mondial, elle peut tout aussi bien transformer l'équilibre mondial du pouvoir. » Le New Republic du 25 janvier présentait les choses de façon encore plus directe : « l'unification imposée des devises de onze pays constitue l'un des plus importants défis à la politique étrangère américaine depuis la fin de la Guerre froide. L'union économique de l'Europe n'est aux yeux de Paris, que le prélude à l'union politique. L'objectif de cette dernière est de diminuer l'influence et la présence américaines sur ce continent comme ailleurs, au moyen d'une tentative éventuelle d'établir des politiques de défense et étrangère qui pourraient très bien se révéler contraires aux intérêts des États-Unis. »

 

L'un des éléments ayant façonné l'opinion américaine est la croyance que l'Europe est trop divisée politiquement et trop dépendante des forces armées des États-Unis pour représenter une menace immédiate. Un représentant de l'administration Clinton déclarait encore récemment : « Nous avons mené quatre guerres pour eux, les Première et Deuxième Guerre mondiales, la Guerre froide et la guerre en Bosnie. Les puissances européennes se sentent maintenant forcées de remédier à cette situation ».

 

Les demandes pour la mise sur pied d'un leadership politique européen plus autonome face aux diktats américains sont de plus en plus fréquentes. Cet état de pensée se manifeste notamment dans la position franco-britannique pour créer une force de défense militaire européenne distincte, de même que dans l'attitude généralement critique de l'Europe face aux actions des États-Unis comme le bombardement de l'Irak. Le 12 janvier dernier, le ministre des Affaires étrangères et sous-chancelier allemand Joschka Fischer, appelait explicitement à ce que l'union économique soit accompagnée de l'union politique. « L'introduction d'une monnaie commune, déclarait le leader des Verts, est avant tout un geste non pas économique, mais bien souverain, donc politique. Nous devons conséquemment renforcer les capacités de l'UE pour la préparer à l'action politique, de même que ses structures internes à de nouvelles tâches. »

 

Les récents développements ne signifient aucunement que les antagonismes historiques présents entre les diverses puissances européennes seront tout simplement surmontées. La route de l'euro a été pavée pendant une croissance difficile de l'économie. En 1998, la croissance du PIB des onze pays de l'euro était de 2,8 p. 100. Selon la revue spécialisée The Economist, ce taux devrait chuter entre 1,6 et 2,6 p. 100 cette année. L'Allemagne est particulièrement affectée par cette situation, avec le nombre de ses chômeurs qui a augmenté de 34 000 seulement au mois de décembre dernier pour atteindre les 4,16 millions. En grande partie du fait de la répercussion retardataire de la crise asiatique de l'an dernier, les experts ont cru décelé une contraction de l'économie au cours des trois derniers mois.

Une nouvelle récession cette année transformerait énormément la situation en Europe en aiguillonnant encore plus une compétition toujours plus féroce au niveau des échanges commerciaux et des investissements. Ce sont les pays européens les plus faibles qui vont souffrir le plus. Au cours des prochains mois, les gouvernements de l'UE doivent s'entendre sur le plan final du budget de l'UE pour les années 2000 à 2006. La majorité des quinze pays de l'UE désirent que le budget soit gelé à 100 milliards $US annuellement, mais l'Allemagne a fait part de son intention de compresser du tiers sa part de 13 milliards $US. De son côté, le Royaume-Uni tient à préserver son dégrèvement substantiel négocié par Margaret Thatcher, alors que la France veut maintenir ses imposants subsides à ses agriculteurs. Toute compression aura des répercussions sévères sur les pays les plus pauvres qui dépendent des subsides de l'UE. Les trois pays les plus pauvres de l'UE que sont l'Espagne, le Portugal et la Grèce, contribuent en effet pour moins de 10 p. 100 du budget annuel mais en reçoivent actuellement 30 p. 100. La compétition sur le marché mondial va continuer d'entraîner des répercussions importantes sur la classe ouvrière. L'introduction de l'euro a déjà provoqué l'érosion des allocations d'assistances et une avalanche de fusions alors que les entreprises se préparaient à récolter les bénéfices de cette opération menée à la grandeur du continent. Dans le monde entier, plus de 26 000 fusions ont été effectuées en 1998, pour une valeur de 2,4 billions $US, soit 50 p. 100 de plus qu'en 1997. Près d'un quart de ces fusions étaient transfrontalières et ont entraîné des pertes massives d'emplois. Il faut s'attendre à des attaques encore plus graves maintenant que les entreprises ont la possibilité de déplacer leur production vers les sites européens les moins coûteux pour maximiser leur avantage concurrentiel.

Actuellement, les travailleurs européens sont très mal préparés pour relever ce défi. Contrairement aux travailleurs américains, les travailleurs européens sont beaucoup moins mobiles du fait des différentes langues parlées. Ils sont ainsi plus vulnérables aux pressions à la baisse sur leurs revenus. Même si elles sont encore relativement plus avancées en Europe qu'aux États-Unis, les allocations sociales dont dépendent des millions de personnes ne pourront bientôt plus protéger ces dernières. La réduction des coûts des programmes sociaux ­ et en premier lieu la privatisation des fonds de pension d'État ­ figurent en effet maintenant à l'ordre du jour de tous les pays européens intéressés à trancher les dépenses publiques et à réduire les coûts de main-d'uvre indirects des grandes entreprises. Le mécanisme qui soutient l'euro a été conçu de façon à prévenir tout affaiblissement de la résolution politique des nations membres dans leur assaut de plein front contre leur classe ouvrière. La Banque centrale européenne est en effet indépendante et c'est elle qui détermine ce que sera la politique monétaire. Bien que les pays membres en difficultés puissent encore augmenter leurs taxes, ils n'ont maintenant plus l'option de dévaluer leur monnaie ou d'abaisser leurs taux d'intérêts, en plus d'être rigoureusement limités pour ce qui des emprunts.

 Les conséquences des derniers développements sur les rapports sociaux sont potentiellement explosives. Le Financial Times lançait d'ailleurs une mise en garde dans son édition du 13 janvier : « Nous pouvons facilement parier que la lune de miel de l'euro sera rapidement suivie par une phase beaucoup plus turbulente lorsque les politiciens de centre gauche de l'euro-zone seront poussés par une nouvelle montée du chômage à chercher la confrontation avec la Banque centrale européenne. Bien que l'idée de restructuration soit encore assez puissante, il est peu vraisemblable que les fusions diminutives de coûts [c'est -à-dire destructrices d'emplois] seront tolérées par les onze gouvernements de l'euro aux prises avec leurs problèmes de chômage respectif, comme c'est déjà le cas aux États-Unis et au Royaume-Uni... La valeur des bourses de l'euro-zone peut bien encore monter. Mais ces dernières vont maintenant s'aventurer dans un territoire de plus en plus dangereux ».

Ce conflit présenté comme restreint uniquement aux gouvernements social-démocrates et à l'establishment financier d'Europe se dirige en fait vers une lutte beaucoup plus décisive entre la grande entreprise et l'élite politique d'un côté, et la classe ouvrière de l'autre. Dans toute l'Europe, les travailleurs font face à un défi politique décisif. Les vieilles stratégies et organisations réformistes du mouvement ouvrier sont toutes basées sur la possibilité de contrôler l'économie nationale de façon à assurer l'existence d'un filet de sécurité sociale, et d'affronter les entreprises individuellement au moyen d'actions industrielles. Mais dans les conditions actuelles, un nouveau programme socialiste est maintenant devenu nécessaire. Il faut un programme qui permettra de lutter contre le capital organisé mondialement et placer le développement économique sous le contrôle des travailleurs. Face à l'introduction de l'euro, les travailleurs doivent discuter sérieusement des nouvelles perspective et orientation à adopter.

Sources WSWS

Posté par Adriana Evangelizt

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3 mai 2009 7 03 /05 /mai /2009 20:12

 

Le processus d'unification européenne dans une impasse

 

Par Peter Schwarz


Le 8 juin 2001

 

Une petite décennie à peine après la ratification du traité de Maastricht qui ouvrit la voie à l'introduction de l'euro comme monnaie unique les efforts en vue de l'intégration de l'Europe connaissent à un arrêt brutal. Les chefs de gouvernement de l'Allemagne et de la France ont clairement établi dans des questions de principe qu'il n'existe plus de vision commune quant à un concept de la future Europe entre les deux pays dont la collaboration étroite était la condition sine qua non pour le succès du traité de Maastricht.

Le chancelier allemand, Gerhard Schröder, avait présenté, fin avril lors du congrès du parti social-démocrate SPD, dans le texte d'orientation, ses projets pour l'avenir de l'Europe. Se référant à un discours tenu il y a un an à l'Université Humboldt de Berlin par le ministre des affaires étrangères, Joschka Fischer, il s'était déclaré en faveur d'un développement de l'Union européenne vers une «véritable fédération européenne».

Selon la vision de Schröder, les institutions européennes devraient être renforcées aux dépens des gouvernements nationaux. Il a l'intention de transformer la commission de l'Union européenne en un «exécutif européen fort» tout en conférant des pouvoirs supplémentaires au Parlement européen. Le Conseil des ministres, qui est constitué par des représentants des gouvernements nationaux et qui, jusque-là, prend les décisions devrait être transformé en une deuxième chambre parlementaire à l'image du Bundesrat (chambre haute du parlement) allemand.

Le premier ministre français, Lionel Jospin, a clairement rejeté ces propositions dans un discours qu'il a tenu le 28 mai à Paris devant un parterre choisi. La France, tout comme d'autres nations européennes, ne pourrait accepter l'idée d'une fédération dans laquelle les Etats européens auraient le statut des Länder allemands ou des Etats fédérés américains, a-t-il précisé. «Je désire l'Europe mais je reste attaché à ma nation. Faire l'Europe sans défaire la France - ni aucune des autres nations européennes : tel est mon choix politique».

Jospin résumait ses propres conceptions dans la formule: «Fédération d'Etats-nations». Il désire maintenir le conseil des ministres, la représentation des gouvernements nationaux comme organe de décision central en le renforçant même. La commission, par contre, devrait subsister en tant qu'organe exécutif et le Parlement ne devrait remplir qu'une fonction de conseil.

A la différence de Schröder, Jospin veut élargir davantage les domaines d'influence de l'Union européenne. C'est ainsi que la politique fiscale devrait se faire selon un modèle centralisateur et les décisions économiques devraient être prises entre les partenaires de l'Union européenne après consultation. Jospin parle dans ce contexte d'un «gouvernement économique européen», ce qui est considéré en Allemagne comme une attaque contre l'autonomie de la Banque centrale européenne et, de ce fait, est refusé. C'est avant tout la presse économique qui a réagi furieusement contre les conceptions de Jospin. Le quotidien économique allemand Handelsblatt a qualifié son projet de «programme pur sang, détaillé en vue d'un projet anti-libéral de l'Union européenne».

Dans la politique agricole et structurelle, il existe également des divergences mais qui sont plutôt d'ordre financier. Schröder veut reporter du niveau européen vers le niveau national la compétence en ce qui concerne ces domaines qui, sous forme de subventions engloutissent la majeure partie du budget communautaire. Ceci allégerait le budget national allemand qui contribue nettement plus qu'il ne récupère sous forme de subventions. Ce faisant, les revendications des futurs nouveaux membres de l'Europe de l'Est se réduiraient. Jospin qui craint pour les subventions versées au grand secteur agricole français tient, par contre, à maintenir la compétence européenne.

En Grande-Bretagne, les propositions de Schröder au même titre que ceux de Jospin ont encouru un refus violent. Le premier ministre, Tony Blair qui, jusque-là, n'a même pas été en mesure de prendre une décision en faveur de l'union monétaire, est par principe contre toute centralisation supplémentaire et élargissement des compétences de l'Union. Il serait même intervenu auprès de Jospin pour que celui-ci ne prononce son discours qu'après les élections législatives anglaises dans le but de ne pas fournir de munitions supplémentaires aux adversaires conservateurs et aux eurosceptiques dans ses propres rangs.

Les divergences entre Schröder et Jospin tournent en premier lieu autour de la forme et des tâches futures des institutions européennes. Des différences similaires avaient déjà existé de par le passé et avaient toujours pu, après des négociations parfois longues et ardues, être surmontées. Cette fois-ci, des problèmes bien plus fondamentaux se cachent derrière le désaccord et qui ne se laisseront pas résoudre si facilement par un compromis.

D'une part, la peur traditionnelle française face à une hégémonie allemande en Europe joue un rôle dans l'attitude de Jospin. Le poids économique, stratégique et démographique de l'Allemagne s'est considérablement accru depuis la réunification allemande et l'élargissement projeté de l'UE vers l'Est. Dans une Europe organisée selon un modèle de fédération, l'Allemagne pourrait pleinement mettre en valeur un tel poids et jouer ainsi un rôle prépondérant. Le modèle de Jospin d'Etats-nations offrirait à la France une chance plus grande de contrecarrer la dominance allemande. Le sommet de Nice, en décembre dernier, avait déjà failli échouer en raison de cette question, la France et l'Allemagne n'ayant pas été en mesure de trouver un accord sur la question de la nouvelle répartition des voix au sein du conseil des ministres.

Une raison majeure au blocage des efforts à l'unification européenne est cependant la polarisation sociale en Europe. Le cap adopté à Maastricht en ce qui concerne les mesures d'austérité et de consolidation a entraîné une aggravation des contradictions et des tensions sociales qui mine la stabilité des gouvernements dont les actions s'orientent de plus en plus en fonction de problèmes nationaux, renforçant de ce fait les tendances centrifuges en Europe.

Le refus catégorique de Jospin des projets européens allemands est dû en fin de compte également à la crise croissante de sa propre coalition gouvernementale qui, un an avant les élections présidentielles et législatives, est menacée d'éclatement.

C'est avant tout le Parti communiste français (PCF) qui est fortement affecté par le mécontentement grandissant dans la population suite aux réductions des dépenses sociales, aux licenciements et à la dégradation des conditions de travail. Il perd rapidement en influence et s'entre-déchire en luttes internes. Les Verts qui, pendant longtemps, n'avaient été en France qu'un groupuscule marginal risible les ont dépassés en devenant la seconde force au sein du gouvernement. Lors des élections municipales en mars dernier, le PCF avait perdu un grand nombre de ses bastions dans lesquels il avait, durant de nombreuses décennies, fournit les maires et les élus locaux.

A ceci s'ajoute le fait qu'il doit faire face à une nouvelle concurrence de la part de la soi-disant «extrême gauche». Les organisations, Lutte ouvrière (LO) et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), enregistrent, depuis quelques années aux élections, des résultats avoisinant les 5 pour cent. Ceux du PCF sont encore de l'ordre de 7 à 8 pour cent. Depuis 1999, LO et la LCR sont représentés au Parlement européen par six députés et, en mars dernier, ils remportèrent 62 mandats municipaux. Ils recueillirent ainsi - avec un score d'une moyenne de 6,2 pour cent - des résultats de pointe de l'ordre de 19 pour cent dans plusieurs municipalités. LO tout comme la LCR se qualifie de trotskiste - à tort. Toutes deux ont depuis longtemps abandonné l'objectif de la Quatrième internationale créée par Trotski, à savoir la mobilisation de la classe ouvrière et l'unité internationale de la classe ouvrière. Ces organisations défendent un programme réformiste, semblable à celui avancé dans le passé par les partis socialiste et communiste. Elles sont surtout actives dans les syndicats où elles représentent un appui important pour la bureaucratie.

Et pourtant leur progression est le signe d'une radicalisation de la population, ce qui est un vrai casse-tête pour le gouvernement Jospin. Le parti communiste a réagi à un telle concurrence en se donnant des allures plus radicales. Après les élections municipales, il a rejeté à l'Assemblée nationale un projet de loi de modernisation sociale qu'il avait déjà adopté en première lecture. Jospin n'a pu éviter un échec de la loi et une éventuelle rupture de sa coalition qu'en reportant de deux semaines le débat sur le projet de loi.

La question de l'Europe pose, elle aussi, des difficultés majeures à la coalition gouvernementale. Elle est confrontée à des divergences profondes. La coalition de Jospin a déjà perdu l'un de ses partenaires, le Mouvement des Citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement, dont l'orientation fortement nationaliste n'a pu s'accommoder ni des concessions faites par Jospin à l'Union européenne ni du statut d'autonomie partielle pour la Corse. Le PCF a également exprimé des réserves quant à l'Union européenne, alors que les Verts appellent, de façon véhémente, à son renforcement. C'est avant tout le porte-parole des Verts français au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit, qu'une forte amitié lie à Joschka Fischer, le ministre des affaires étrangères allemand, depuis ses années communes de provocateur gauchiste passées dans le milieu «Sponti» (gauchiste-anarchiste) de Francfort, qui défend à grands cris les conceptions allemandes pour une fédération européenne.

L'élargissement prévu de l'UE vers l'Est accentuera considérablement les tensions sociales existantes au sein de l'UE. En guise de soutien aux dix nouveaux membres devant joindre l'UE dans les cinq prochaines années, ce sont tout juste 80 milliards d'euro qui sont prévus au budget pour couvrir la période allant de 2000 à 2006, soit un dixième de l'ensemble du budget.

Des subventions agricoles directes comptant pour un tiers du budget de l'UE, doivent être réservées aux anciens membres. Ceci signifie le coup de grâce pour l'agriculture arriérée de l'Europe de l'Est. ««L'UE future risque de devenir ainsi une société à deux classes qui, bien qu'ayant des institutions politiques communes, repose sur un fondement social et économique cependant bien fragile», conclut le journal allemand Süddeutsche Zeitung.

Voir aussi :

Sources WSWS

 

Posté par Adriana Evangelizt

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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 11:40

 

Les débats publics sur la violence d'extrême droite en Allemagne

Les politiciens et les médias demandent « un État fort »

 

Par Peter Schwarz


28 août 2000

 

Depuis le début d'août, le débat public en Allemagne est dominé par la question de la violence d'extrême droite. Tous les jours, les journalistes, les commentateurs, les hommes d'État, et les hommes politiques proposent de nouvelles mesures et présentent de nouvelles résolutions pour contrecarrer les actions choquantes des groupes néo-fascistes et la vague de violence contre les étrangers.

On peut regrouper ces propositions en deux grandes catégories :

Dans une première catégorie, on trouve les propositions qui ont en commun de demander d'accroître les pouvoirs et les moyens de répression de l'État. Certains veulent que le parti néo-fasciste le plus agressif et le mieux organisé, le NPD, soit déclaré illégal, une mesure qui bénéficie présentement de l'appui du gouvernement allemand ; d'autres prônent une plus grande mobilisation de la police et de la Police fédérale des frontières (BGS) semi-militaire, la surveillance totale des centres urbains par caméscope, la limitation de la liberté d'expression, et une restriction générale du droit de manifester et de s'assembler.

Tous ces projets ont en commun de contrer les droits et les principes démocratiques. Ceux qui soutiennent ces projets ne semblent pas se rendre compte qu'un renforcement des pouvoirs répressifs de l'État, bien qu'il soit superficiellement dirigé contre les néo-fascistes, menace en fait la démocratie elle-même.

Un exemple typique de telles propositions nous est donné dans l'éditorial du dernier numéro de l'hebdomadaire Die Zeit. Intitulant son article « Combattons les nazis ! », le journaliste Toralf Staudt entrevoit avec enthousiasme une société où il y a un gendarme à chaque intersection, ce qui est généralement considéré comme le trait caractéristique d'un État policier. Staudt écrit que « Les membres de la Police fédérale des frontières pourraient patrouiller dans les trains régionaux, et des cars d'unité de police mobile devraient être sur le qui-vive partout où des jeunes violents se réunissent : les places publiques, les rues piétonnières, et les stations d'essence ».

Dans un autre article publié dans Die Zeit, intitulé « Avec toute la puissance de l'État », le célèbre social-démocrate Klaus von Dohnanyi met rapidement de côté toute objection démocratique à un renforcement des pouvoirs de l'État. Selon von Dohnanyi, les « soi-disant objections 'libérales' » que la surveillance des particuliers et des domiciles, la surveillance par caméscope, et l'utilisation des agents secrets mènent à un État policier ne prennent pas en compte le concept d'une « démocratie qui peut lutter ».

Un slogan populaire dans les milieux anti-fascistes, « Le fascisme n'est pas une opinion, mais un crime », va aussi dans ce sens. Même si l'on accepte que ce slogan soit l'expression d'un dégoût honnête envers l'extrême droite, la conclusion que l'on en tire logiquement est que le fascisme est une question de droit criminel, et pas une question politique. Ce point de vue est erroné parce qu'il empêche l'élaboration d'une contre-stratégie effective.

Dans la seconde catégorie, on regroupe les mesures qui sont souvent proposées en même temps que les précédentes, bien qu'avec moins de vigueur. Ces mesures consistent en initiatives éducatives et de propagande : éducation politique, discussions dans les écoles, soutien financier des initiatives anti-fascistes, et des appels à plus de courage personnel dans les milieux publics.

Comme celles de la première catégorie, ces mesures ne prennent en compte que les symptômes apparents et non pas les causes des problèmes. Alors que ceux qui proposent un renforcement de l'État approchent la question du point de vue de la répression du droit, les défenseurs de « l'illumination personnelle » ne voient le problème du fascisme que sous l'angle de la conscience individuelle et personnelle. Pourtant, il est évident que l'escalade de la violence d'extrême droite ait des racines politiques et sociales plus profondes.

La violence d'extrême droite s'explique à la fois par une crise sociale qui jette de plus en plus de secteurs de la population dans l'insécurité économique ou la pauvreté ainsi que par un climat politique qui ne semble offrir aucune voie progressiste pour sortir de l'impasse sociale. C'est l'interaction entre ces deux facteurs qui fait croître le néofascisme et la xénophobie.

En soi, la crise sociale, qui est le résultat d'un taux de chômage élevé et de l'écart grandissant entre les riches et les pauvres ne mène pas automatiquement à l`adoption des politiques de l'extrême droite. De telles crises peuvent aussi donner une impulsion à des mouvements de solidarités au sein des « basses couches » de la société ; au moins, elles l'ont souvent fait par le passé. Mais ce genre de mouvement nécessite une alternative politique à l'ordre existant qui puisse captiver l'imagination des masses et qui constitue une véritable opposition aux partis dirigeants qui sont responsables de la crise sociale.

De ce point de vue, les syndicats et le SPD (le Parti social-démocrate) sont les principaux responsables de la montée de la violence d'extrême droite. Ces organisations prétendent représenter les intérêts des travailleurs et des strates désavantagées, mais en fait se sont parfaitement intégrées dans l'ordre dominant.

Depuis longtemps, les syndicats n'opposent plus de résistance aux attaques menées contre les emplois, les salaires, les caisses de retraite, le système public de santé, et les programmes sociaux. Ils coopèrent étroitement avec le gouvernement et les patrons, et considèrent que leur tâche la plus importante est de diffuser toute protestation sociale.

Depuis qu'il a pris le pouvoir au niveau national, le SPD a achevé le processus de sa transformation en parti de la grande entreprise. Bien que ce soit une vague d'indignation sociale contre le gouvernement conservateur précédent de Helmut Kohl (CDU - Union Démocratique Chrétienne) qui les ait portés au pouvoir, les sociaux-démocrates démantèlent à présent les couvertures sociales plus radicalement que Kohl aurait osé faire.

Dans de telles circonstances, l'indignation sociale se transforme en désespoir. Quand la lutte contre les élites semble être bloquée, certains dirigent leur violence frustrée contre les couches désavantagées. Ainsi, les plus pauvres servent de tête de turc à la rage contre le piètre état de la société.

Quelle autre explication y a-t-il pour le fait que la xénophobie atteint les niveaux les plus élevés dans des régions avec les plus petits pourcentages d'étrangers, moins de deux pour cent ? Comment peut-on expliquer pourquoi de jeunes chômeurs tuent les sans-abri à coups de pied ? C'est un climat parfait pour la démagogie d'extrême droite et nationaliste. Confrontés par une situation sans espoir, les gens essaient de se consoler par le fait qu'ils sont « Allemands ».

Les appels des syndicats et du SPD pour davantage de « courage des citoyens » et de nouvelles initiatives contre le néo-fascisme sont une piètre tentative de faire oublier leur responsabilité. Ce n'est pas pour attaquer la sincérité de ceux qui se joignent à de telles initiatives en luttant contre les néo-fascistes, souvent en risquant leurs vies. Mais ils font face à une situation presque impossible. Tandis qu'ils essaient de persuader les esprits et les coeurs des individus, quelquefois avec succès, les conditions nécessaires pour la montée du néo-fascisme continuent à s'étendre.

Le racisme officiel des dirigeants politiques vient encore empirer ces conditions. Quand le chancelier fédéral, Schröder, soutient l'expulsion des « étrangers criminels » dans ses discours électoraux, que le ministre fédéral de l'Intérieur, Schily, déclare que les « limites du stress » ont été excédées en l'Allemagne par un raz-de-marée d'étrangers, ou le ministre de l'Intérieur bavarois divise les étrangers en « ceux qui nous sont utiles » et « ceux qui nous utilisent », il n'y a plus qu'une différence de forme avec le slogan nazi « Les étrangers à la porte ! »

Il y a aussi les assauts politiques menés par tous les grands partis contre de droit d'asile, et la persécution par l'État des réfugiés et des personnes demandant asile, à qui on refuse les droits démocratiques et sociaux les plus essentiels. Pour les néo-fascistes, ceci ne peut qu'être perçu que comme une approbation officielle de leurs propres attaques violentes sur les étrangers.

L'octroi de davantage de pouvoirs répressifs à l'État, comme l'on suggère à présent, n'éliminera pas le danger néo-fasciste, mais encouragera plutôt un climat politique encore plus favorable à la dissémination du racisme et de la xénophobie. L'intolérance et la xénophobie existent le plus confortablement dans une atmosphère de répression menée par l'État.

La surveillance par l'État, l'imposition de sanctions et l'interdiction des partis pourrait temporairement intimider ou faire perdre de l'argent à quelques organisations d'extrême droite, mais cela ne changera rien aux causes fondamentales qui alimentent le développement de ces organisations. Ceci s'applique également à l'interdiction du NPD, qui établirait un précédent dangereux d'entraves à la liberté d'expression, une nécessité absolue dans la lutte contre les néo-fascistes. Un État qui interdit les idées parce qu'il n'a rien à proposer pour les remplacer a essentiellement admis l'échec de ses prétentions démocratiques.

Et dans les faits, les défenseurs d'un État plus répressif sont moins préoccupés de la lutte contre l'extrémisme de droite que de défendre le monopole de l'État sur l'utilisation de la force. Ce qui les inquiète n'est pas le développement de tendances d'extrême droite, mais plutôt que la société s'effondre sous le poids de ses tensions sociales. Le social-démocrate Klaus von Dohnanyi a exprimé ces vues le plus clairement dans l'article du Die Ziet déjà cité plus avant.

Dohnanyi s'oppose l'idée que les extrémistes de droite sont motivés « principalement par une idéologie de droite ». Sur la question de la violence extrémiste, écrit-il, on ne doit pas distinguer entre « droite » et « gauche ». Il déclare que « La violence dans les conflits politiques et le racisme » est en fin de compte « indépendante des partis ». La « violence potentielle des conditions sociales tendues » peut « exploser contre les étrangers aujourd'hui et faire éruption demain contre les hommes d'affaires et les hommes politiques ».

Dohnanyi donne ici un portrait sans fard de la toute cette situation. Lorsqu'il exprime sa crainte que les tensions sociales qui font aujourd'hui éruption contre les membres les plus faibles de la société se dirigent demain contre « les hommes d'affaires et les hommes politiques », il présent les dangers qui résultent de l'aliénation croissante de la population contre les partis politiques. Il soutient par conséquent « un État dur». Même les appels à davantage de courage de la part des citoyens le laissent froid : « L'ordre public ne peut être maintenu que par la police et les tribunaux, non pas par les citoyens, pour bonnes que soient leurs intentions ».

En même temps, Dohnanyi souhaite continuer la campagne officielle contre les étrangers : « L'honnêteté sur les questions de la criminalité des étrangers, de l'immigration illégale et abusive, et des limites de la capacité du pays ou des régions à accommoder l'immigration ne doit pas être vue comme un soutien aux 'slogans d'extrême droite' ».

Parmi les hommes politiques, ceux qui préparent le terrain idéologique pour l'extrême droite, tels le ministre de l'Intérieur de la Bavière, Beckstein, et le ministre de l'Intérieur du Brandenbourg, Schönbohm, soutiennent le plus ouvertement les tactiques d'un « État fort ». Ce fait devrait en soi être un signal d'avertissement que quelque chose cloche. On voit clairement que ceci ne peut être la solution au danger néo-fasciste. Nous avons besoin d'une stratégie complètement différente : un réarmement politique du mouvement ouvrier, qui est à présent paralysé par des décennies de domination par les démocrates sociaux et les staliniens.

Sources WSWS

Posté par Adriana Evangelizt

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20 avril 2009 1 20 /04 /avril /2009 10:59

 

 

La xénophobie en Allemagne de l'Est est-elle un héritage du stalinisme ?

 

Par Peter Schwarz


13 septembre 2000

 

L'hostilité généralisée et les assauts violents envers les étrangers dans l'est de l'Allemagne ont donné une nouvelle urgence à la question de savoir si ces phénomènes sont uniquement le résultat de la réunification allemande de 1990, ou si ses racines ne remontent pas plutôt à l'Allemagne de l'Est stalinienne (la République Démocratique Allemande, la RDA).

Un article récent, « Les causes historiques de la xénophobie dans l'ancienne Allemagne de l'Est » (http://www.zzf-pdm.de/papers/thesp.html), publié par le Centre pour la recherche historique contemporaine à Potsdam, soutient fermement cette deuxième opinion. Les trois auteurs, Jan C. Behrends, Dennis Kuck, et Patrice G. Poutrus, considèrent que les causes de la xénophobie sont le traitement et la perception des « inconnus » dans la RDA, et la politique nationaliste du PSU (Parti socialiste de l'unité, le parti de l'État stalinien).

Une de leurs thèses centrales est qu'« à la différence de la République Fédérale (l'Allemagne de l'Ouest), il n'y avait pas de critique publique des idéologies nationalistes, la nation allemande restait un important point de repère psychologique pour le régime et la population. La nation socialiste avait ainsi tendance à être imaginée comme une société fermée, dont les ressources devraient être inaccessibles aux 'étrangers' ('ennemis de classe' ou 'inconnu') ».

Cet article fut source de protestations virulentes, surtout dans les milieux du PSD (Parti du socialisme démocratique ­ successeur au PSU). Un exemple typique est l'article de Thomas Ahbe publié par l'hebdomadaire Freitag, qui écrit que l'on « peut trouver assez de raisons pour l'extrémisme de droite à l'Est dans l'histoire des dix dernières années ». S'il fallait en croire Ahbe, l'article de Potsdam, selon lequel il faut chercher les origines de l'extrémisme dans la RDA, ne fait rien de plus que réactualiser la propagande du PSU, selon laquelle la rébellion ouvrière du 17 juin 1953 était un « putsch fasciste ». Dans les deux cas, le contenu du message est supposément le même : « ce n'est pas notre faute, ce n'est pas 'notre bon système' qui cause toutes ces difficultés momentanées, mais bien les forces maléfiques du passé ».

La façon par laquelle ils expliquent le présent à partir du passé ne fait pas avancer grand-chose. Il est évident, et les historiens de Potsdam ne le nient pas, que le déclin social et la désorientation politique de grandes couches sociales ont créé un terrain fertile pour l'extrémisme après la réunification. L'hostilité officielle du gouvernement envers les étrangers est sans doute un facteur important. On n'a qu'à considérer le traitement fait aux ouvriers vietnamiens après la réunification ou les restrictions au droit d'asile instaurées en réaction au pogrom de Rostock en 1992. Il est aussi impossible de nier que des tendances semblables existent en Allemagne de l'Ouest, mais quand même à un moindre degré.

Mais ceci ne répond pas à la question : pourquoi les slogans xénophobes et nationalistes ont-ils une telle influence sur sections assez importantes de la population de l'Allemagne de l'Est ? Cette question est d'autant plus urgente quand on considère que « l'anti-fascisme » et « l'internationalisme prolétarien » étaient à la base de l'idéologie officielle de la RDA pendant quarante ans, étaient enseignés dans toutes les écoles et donnaient lieu à beaucoup de fêtes nationales. S'ils ont laissé si peu de traces, la conclusion évidente est que « l'anti-fascisme » et « l'internationalisme » de la RDA avait quelque chose de fondamentalement faux.

On ne peut éluder cette question en affirmant, comme le fait Ahbe, que la recherche des causes de la xénophobie dans l'histoire ne servirait qu'à cacher les causes actuelles. Surtout si l'on soutient une alternative socialiste à la société actuelle, il est essentiel d'analyser d'une façon critique les expériences de la RDA et d'en tirer des leçons.

Le nationalisme dans la RDA

Les auteurs de l'article de Potsdam ont touché juste quand ils disent qu' « il n'y a pas eu de critique des idées nationalistes dans la RDA ». Ils écrivent que « la propagande au cours des années 1950 pour légitimiser que le PSU soit au pouvoir continuait l'ancienne tradition de justification nationaliste sans la moindre hésitation. À en juger par son discours, la RDA se voyait comme le vrai représentant de la nation allemande : un contenu socialiste dans une forme nationale ».

On peut facilement trouver dans l'histoire de la RDA les marques d'un nationalisme franc, particulièrement visibles dans la période où fut établi le pays, en 1949.

Le « Comité national pour une Allemagne libre », créé en 1943 sous la direction de Walter Ulbricht, chargé de la propagande soviétique en Allemagne, ne faisait pas appel à l'internationalisme d'un mouvement ouvrier, mais, comme l'indique le nom, au nationalisme allemand. Sa bannière utilisait même les vieilles couleurs impériales (noir, rouge, et blanc) au lieu des couleurs républicaines (noir, rouge, et doré).

Aussi longtemps que Staline a continué d'espérer que Allemagne serait neutre et qu'elle ne serait pas soumise au contrôle direct des puissances occidentales, les staliniens allemands se sont fait les défenseurs acharnés de la cause de l'Allemagne unifiée. Plus la guerre froide se développait et prenait de l'ampleur et plus leur nationalisme devenait hystérique. Leur nationalisme ne se limitait aux questions politiques. Par exemple, dans le domaine culturel, le PSU chantait les louanges de la nation d'une façon rappellant la politique culturelle des Nazis.

Comme exemple, nous citerons un discours donné en 1950 par le premier ministre du premier gouvernement de la RDA à l'occasion de l'ouverture de l'Académie allemande pour les arts. « Pour qu'un art vraiment grand et exalté se développe, il faut que l'unité de notre nation soit restaurée », a déclaré Otto Grotewohl. « Ce n'est pas contraire à ce qui se passe ailleurs dans le monde. Car le plus une oeuvre d'art a de valeur pour le monde entier, le plus profondément ses racines sont jetées dans le sol de la nation ; si elle a une importance internationale, c'est qu'elle aura des caractéristiques, des origines, et une forme nationales ».

Et pour ceux qui n'auraient encore compris, il a rajouté que « La fuite désespérée des artistes allemands vers l'esprit cosmopolite, vers une citoyenneté mondiale mal comprise, vers l'abandon des particularités nationales n'est pas une solution, mais ne fait qu'affaiblir la volonté de vivre de son propre peuple et le rend incapable d'accomplir ses devoirs nationaux ».

L'ouverture du PSU aux anciens membres du NSDAP (le parti nazi) allait main dans la main avec cette propagande nationaliste. En 1949, le Front National était créé, unissant les membres de tous les partis et des organisations populaires sous le contrôle du PSU. Il a déclaré que l'impérialisme américain, qui « avait hérité du fascisme hitlérien dans la lutte pour la domination mondiale », était le seul ennemi et, pour ces raisons, a demandé la collaboration des « anciens officiers, soldats, fonctionnaires, et généraux de la Wehrmacht (armée allemande) ainsi que celle des anciens nazis. () Ce qui compte vraiment, c'est le point de vue de l'individu allemand dans cette grande lutte pour la libération du peuple allemand, et non pas son ancienne affiliation organisationnelle. »

Le PSU a créé le Parti national démocratique de l'Allemagne (NDPD) dans l'unique but d'accomoder les anciens nazis. Mais le NDPD s'est bientôt plaint que le PSU lui ravissait trop d'« anciens » (nazis). Au début des années 1950 le PSU avait 100 000 anciens membres du NSDAP, et le NDPD, bien plus petit, n'en avait que 4 000. Les anciens membres du NSDAP faisaient presque 9 pour cent des membres du PSU. Si l'on compte les anciens membres de la Jeunesse hitlérienne et d'autres organisations nazies, le chiffre atteint les 25 pour cent. Par contre, la proportion des anciens social-démocrates et communistes n'était que 16 pour cent, à causes des purges continuelles.

On peut facilement comprendre l'effet qu'ont eu ces changements dans la composition du PSU sur le climat public, surtout en relation avec la propagande nationaliste.

Ce n'était que dans les années 1960 et 1970 que l' « internationalisme prolétarien » a pris de l'importance dans la propagande du PSU. Mais, comme l'indique correctement l'article de Potsdam, celui-ci restait toujours lié à une doctrine publique officielle du « patriotisme socialiste ». L' « internationalisme » officiel était limité à des rites planifiés, qui aidaient à mobiliser le soutien public à la politique étrangère de l'État, tandis que « les voyages et le contact avec d'autres pays et leur culture était un privilège accordé qu'à une élite restreinte au sein du parti ».

On continuait à interpréter l'histoire de la RDA en termes nationalistes. La seule différence était qu'avec la détente, il n'y avait plus une mais deux nations allemandes, une socialiste et une capitaliste. Dans un article publié pour l'anniversaire de la création de la RDA, publié dans le journal Einheit en 1979 sous le titre « La naissance et la floraison de la nation socialiste allemande », on lisait que la RDA se développait de plus en plus en une « vraie communauté nationale » dans laquelle « la conscience socialiste nationale allemande » était consolidée et « le terme 'allemand' » prenait « un contenu plus riche » à cause de la fusion de l'Ethnos (le peuple) avec le socialisme.

Dans la dernière décennie de son existence, la RDA a vécu une renaissance des traditions et des vertus prussiennes contre lesquelles le mouvement ouvrier avait si durement combattu dans les premières années de son histoire. Le célèbre réformateur religieux Martin Luther, le roi de Prusse Friedrich le Grand, et le « Chancelier de Fer » Otto von Bismarck étaient redécouverts comme des symboles nationaux. Les philosophes réactionnaires Friedrich Nietzsche et Martin Heidegger se gagnaient une nouvelle réputation.

« Étrangers » dans la RDA

Les préjugés contre les étrangers ou les dissidents étaient presque automatiques dans un pareil climat idéologique. Les auteurs de Potsdam rappellent qu'il n'y avait pas d'étrangers « normaux » dans la RDA. On ne pouvait pas entrer dans le pays sans une invitation et un visa. La population n'avait presque aucun contact avec les gens d'autres pays et d'autres cultures.

Par rapport à sa population, il y avait très peu d'étrangers vivant en RDA : environ 190 000 dans un pays de 17 millions d'habitants. La plupart étaient des soldats soviétiques, qui vivaient dans des casernes où ils devaient obéir à une discipline très stricte et n'avaient donc qu'un contact limité avec la population allemande, et des travailleurs étrangers qui vivaient presque dans des conditions d'esclavage. Si, par exemple, une ouvrière vietnamienne devenait enceinte, elle devait retourner immédiatement au Vietnam.

Les auteurs de l'article de Postdam ajoutent que « Leur position légale était toujours précaire. La loi ne prévoyait pas de droit de résidence ; les autorités pouvaient se comporter comme des 'seigneurs dans leurs fiefs' avec les étrangers. Les immigrants politiques ne pouvaient pas prétendre à un droit d'asile ; leur séjour en RDA dépendait de leur loyauté envers le PSU. Pour garantir la paix sur le plan politique, ils étaient éparpillés partout en RDA et ainsi se trouvaient en grande partie isolés ».

D'autres préjugés étaient stimulés, selon l'article de Potsdam, quand « la population, particulièrement dans les années 1950, mais aussi plus tard, était encouragée à être 'en garde' contre 'les étrangers'. Dans le lexique de la propagande du PSU, des 'étrangers' pouvaient être 'des agents hostiles, des malfaiteurs, ou des saboteurs', à qui on ne pouvait faire confiance ».

Quand les manifestations ouvrières ont secoué la Pologne au début des années 1980, le PSU a commencé une campagne anti-polonaise. C'était à cette époque que le journal Neues Deutschland, contrôlé par l'État, a utilisé le terme péjoratif « pollack » pour décrire les Polonais. En 1988 une chanson populaire à succès, passée au crible de la censure omniprésente, avait pour paroles : « Je viens de la grande surface de Berlin, et je dois dire que les rayons sont vides. Sur tous les bancs et toutes les marches il y a des Polonais avec leurs familles ».

Dans les années 1980, on entendit les premières nouvelles sur les gangs skinheads d'extrême droite dans la RDA, qu'on appelait officiellement « Rowdys » (hooligans). Le journal Junge Welt a mentionné un procès en 1987 où « Pendant l'émeute, les Rowdys ont constamment hurlé des slogans de la période nazie, ce qui est un délit en RDA, où le fascisme a été exterminé avec toutes ses racines ».

Les skinheads attaquaient les cimetières et les monuments juifs, et, en octobre 1987, une réunion de punks et de dissidents dans l'Église zioniste de Berlin. Après cette attaque, la police a arrêté André Riechert qui fut condamné. Il était le fils d'un officier de la Stasi (Service de Sécurité de l'État) chargé de contrôler « l'extrémisme de droite ». En 1990, Riechert était cofondateur et représentant auprès de la presse du groupe néo-fasciste Alternative nationale (AN), qui a été déclaré illégal depuis. Riechert, qui est loin d'être un cas unique, est la personnification du fait que le nationalisme en Allemagne de l'Est est le rejeton de la bureaucratie dirigeante.

La thèse de responsabilité collective

Les auteurs de l'article de Potsdam comprennent qu'une des causes passées de la xénophobie actuelle est la doctrine officielle de l'ancienne RDA. Cependant, ils ne comprennent pas les motivations politiques qui ont encouragé les dirigeants de la RDA à adopter ce discours, et conséquemment, ils arrivent à des conclusions totalement fausses.

Ils maintiennent qu'après la défaite du régime nazi, « les stéréotypes racistes, nationalistes, et anti-bolcheviques disséminés par la propagande nazie » étaient largement acceptés par le peuple allemand, et accusent le PSU de ne pas assez considérer ce fait en formulant sa propre propagande : « Au lieu de parler ouvertement de la période nazie, pendant quarante ans ils ont essayé de communiquer à la population la perspective minoritaire des résistants communistes, qui s'étaient radicalement opposés au nazisme. La plupart des Allemands avaient ou bien soutenu le régime ou vécu avec, et ainsi dès la première période, il y avait un gouffre idéologique entre les expériences et les idées du peuple d'un côté et la propagande du PSU de l'autre ».

Ainsi, consciemment ou non, ils font leur la thèse principale que les autorités soviétiques et le PSU avançaient eux-mêmes pour justifier leur politique : la thèse de la « responsabilité collective » du peuple allemand, selon laquelle la vaste majorité des Allemands soutenait le régime hitlérien. Cette thèse avait deux buts : d'une part, elle cachait la responsabilité des staliniens pour l'arrivée au pouvoir d'Hitler et mettait le stalinisme à l'abri de toute critique, et de l'autre, elle justifiait la politique soviétique d'occupation et de démontage des usines que l'on renvoyait en URSS comme indemnisation de guerre.

D'un point de vue historique, la théorie de responsabilité collective ne tient pas la route. Chaque fois qu'ils pouvaient exprimer leur volonté plus ou moins librement dans des élections, la « plupart des Allemands » ont rejeté le Parti du socialisme national (le Parti nazi). Des millions d'ouvriers ont voté pour le KPD (Parti communiste) ou le SPD (Parti social-démocrate), et certains ont même combattu le fascisme l'arme à la main. Hitler devait sa victoire aux erreurs des deux grands partis ouvriers, le SPD, qui s'était accomodé à l'État bourgeois et ses institutions, et le KPD, qui, sous l'influence de Staline, a saboté la formation d'un front ouvrier contre les nazis.

Après 1933, les erreurs des partis ouvriers et l'utilisation immédiate par les nazis de la terreur généralisée, détruisant toute opposition à la racine, ont rendu toute résistance systématique quasiment impossible. Ainsi, beaucoup d'ouvriers ont été passifs, ou bien actifs seulement en petits groupes. Par contre, conclure de ce fait que pendant les douze ans de leur règne les nazis avaient acquis la sympathie de la plupart des Allemands est absurde. Après la capitulation de l'Allemagne nazie, des comités anti-fascistes sont apparus partout, d'habitude dirigés par des membres ordinaires du KPD ou du SPD qui prirent le travail de reconstruction en main.

Le mouvement nationaliste du PSU était dirigé contre cet anti-fascisme spontané. De nombreux documents historiques et témoignages personnels démontrent que le PSU a systématiquement dissout ces comités et conciliabules d'usine spontanés, les remplaçant par des organisations où les hommes politiques bourgeois avaient une forte présence.

Une des meilleures descriptions de cette époque se trouve dans le livre Enfant de la Révolution de Wolfgang Leonhard. Comme membre du groupe d'Ulbricht, Leonhard faisait partie du mouvement pour dissoudre les comités ouvriers. Leonhard ne laisse aucun doute sur l'importance de ces mesures : « Le stalinisme ne pouvait tolérer que des mouvements anti-fascistes, socialistes, ou communistes se développent d'initiatives des couches sociales inférieures, parce que de telles initiatives risqueraient toujours d'échapper à son contrôle et de ne pas se conformer aux ordres des couches supérieures. La dissolution des comités anti-fascistes n'était rien d'autre que la destruction du début d'un mouvement socialiste et anti-fasciste puissant et indépendant. C'était la première victoire des apparatchiks sur le mouvement indépendant anti-fasciste des couches de gauche en Allemagne ».

Le stalinisme et le nationalisme

Pour comprendre toute l'importance du parcours nationaliste du PSU on doit remonter aux origines du stalinisme en URSS dans les années 1920. A ce moment, le caractère international de la révolution socialiste était le point central de la dispute entre le groupe stalinien et l'Opposition de Gauche trotskyste. L'opinion de Staline que le socialisme pouvait se construire en un seul pays signifiait une rupture totale avec le point de vue internationaliste du marxisme.

Ce n'était pas uniquement une question théorique. Le point de vue nationaliste de Staline correspondait aux besoins de la bureaucratie naissante à l'intérieur du parti et de l'État, qui se développait en caste privilégiée et qui se sentait menacée par tout mouvement révolutionnaire, aussi bien à l'étranger qu'en URSS. En plus, ce mouvement trouvait un appui parmi les éléments réactionnaires imbus des traditions de chauvinisme russe, dont la bureaucratie avait besoin comme base sociale dans leur lutte contre l'opposition marxiste. En bref, le nationalisme servait d'arme idéologique et politique contre les mouvements socialistes de la classe ouvrière.

L'ascension de Staline était l'expression gouvernementale de la consolidation du pouvoir par la bureaucratie, qui a culminé en 1937 avec l'extermination d'une génération entière de marxistes révolutionnaires. Au niveau international, le stalinisme jouait un rôle de plus en plus ouvertement réactionnaire. Pendant la guerre civile espagnole, la police secrète stalinienne a mené des assauts sauvages contre les éléments révolutionnaires, facilitant ainsi la victoire de Franco.

Après la Deuxième guerre mondiale, la politique étrangère du Kremlin dépendait des besoins sociaux de la bureaucratie, qui voulait par-dessus tout la sécurité et le calme. L'établissement d'une série d'États contrôlés par le stalinisme en Europe de l'Est, dont les gouvernements dépendaient directement de Moscou, servait les intérêts de sécurité nationale des bureaucrates soviétiques. Le calme était établi en étouffant toute initiative des couches inférieures qui, comme les éruptions révolutionnaires d'après la Première guerre mondiale, menaçait le nouvel ordre international d'après-guerre.

En Italie et en France, les partis communistes, agissant en accord avec la politique étrangère soviétique, entraient dans des gouvernements et essayaient de stabiliser les régimes bourgeois. En Europe de l'Est, où les staliniens détenaient le pouvoir, toute activité indépendante du peuple était supprimée par la force. À mesure que les écarts entre la population et les dirigeants staliniens se creusaient, ceux-ci dépendaient de plus en plus des éléments nationalistes. En RDA, la réhabilitation des anciens membres du NSDAP n'était qu'un aspect de la répression de la révolte ouvrière de juin 1953.

Staline n'avait pas prévu d'étendre le modèle soviétique en Europe de l'Est et d'y effectuer des expropriations en masse. Celles-ci n'ont eu lieu que lorsque la guerre froide qu'entreprirent les USA ait soumis le régime stalinien à des pressions intenses. Immédiatement après la guerre, dans la partie de l'Allemagne occupée par les Soviétiques, on limitait les expropriations aux biens des grands propriétaires (les junkers) et de l'industrie lourde qui appartenait ou bien à l'État allemand, ou à des organisations nazies, ou encore à des criminels de guerre. À une époque où le rôle direct que jouèrent les corporations allemandes dans l'arrivée au pouvoir d'Hitler était largement connu, ces mesures jouissaient d'une large mesure de popularité. Dans l'état de Saxonie dans l'est de l'Allemagne, 77 pour cent de la population a voté l'expropriation sans compensation de tous les criminels de guerre dans un référendum en 1946.

En grande mesure, la réputation de la RDA comme « État anti-fasciste » était basée sur ces expropriations. À la différence de la République Fédérale, où les biens de ceux qui avaient soutenu Hitler restaient intacts, en RDA on éliminait les bases matérielles des plus importants piliers sociaux du régime nazi. Les castes des junkers et des officiers, dont les terres étaient surtout en Allemagne de l'Est et dans des zones qui sont actuellement en Pologne ou en Russie, étaient la base essentielle de la réaction extrême en Allemagne depuis plus d'un siècle, de la suppression de la révolution démocratique de 1848, aux empires de Bismarck et du Kaiser Wilhelm, à la République de Weimar, et ont très fortement contribué à l'arrivée au pouvoir d'Hitler.

Mais si on pose aujourd'hui la question : « qu'est-ce qui avait plus d'importance historiquement : les expropriations et les nationalisations ou la suppression de toute initiative indépendante de la classe ouvrière ? », la réponse est claire. Une société socialiste ne peut être construite qu'en utilisant les initiatives créatrices du peuple. La suppression systématique par le PSU de tout mouvement politique indépendant a désarmé les ouvriers du point de vue politique et idéologique. Ceci a non seulement déterminé le destin de la RDA et préparé le chemin vers le retour au capitalisme en Allemagne de l'Est, mais a aussi laissé la classe ouvrière sans organisations et sans base idéologique pour s'opposer efficacement aux assauts continuels qui ont accompagné la réunification capitaliste portés aux emplois, aux salaires, et autres gains sociaux réalisés précédemment.

Cette histoire révèle les causes plus profondes de la renaissance des courants fascistes aujourd'hui. Le fascisme, comme le montre l'expérience historique, trouve un appui parmi les couches dévastées de la société quand la classe ouvrière ne peut pas leur indiquer de solution à une impasse sociale. Parce que le mouvement ouvrier n'a pas encore pu avancer sa propre réponse à la crise sociale, la xénophobie et le néo-fascisme propre continuent à s'épanouir dans le terrain idéologique et social que la RDA a laissé.

La lutte contre le fascisme coïncide donc avec la lutte contre un développement social qui condamne des couches de plus en plus nombreuses au chômage, à la pauvreté, et la crainte généralisée. Elle nécessite une réorientation politique du mouvement ouvrier. Les traditions socialistes que le stalinisme a écrasées ­ la solidarité internationale et l'égalité socialiste ­ doivent renaître.

Les auteurs de l'article de Potsdam arrivent à des conclusions complètement différentes : « Nous implorons que l'État agisse clairement pour instaurer les droits humains pour les étrangers, même si la population s'y oppose », écrivent-ils. L'État doit donc défendre la « démocratie » contre le peuple ! Est-ce que ceci ne ressemble pas étrangement à la RDA ? En même temps, ils rejettent une lutte pour l'égalité socialiste : « La tentative de réussir une harmonisation générale enlève le dynamisme à notre société et nous ramène à l'impasse où la RDA a fini par se trouver ».


Voir aussi:
Les débats publics sur la violence d'extrême droite en Allemagne: Les politiciens et les médias demandent « un État fort »

Sources WSWS

 

Posté par Adriana Evngelizt

 

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